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Les gilets jaunes, un puits sans fond d’images qui interrogent

Photos et vidéos deviennent rapidement virales mais ne sont pas toujours authentiques, imposant un travail de vérification rigoureux.
Vidéo d'un tabassage par des policiers près des Champs-Elysées, le 1er décembre. La victime autoproclamée n'était pas la bonne. (Photo DR)
publié le 14 décembre 2018 à 20h46

Parti de Facebook, le mouvement des gilets jaunes s’est naturellement construit sur le réseau social. C’est là que l’information circule pour débattre, organiser les points de blocage et les manifestations. Avec cette parole libre et sans filtre, où la vidéo joue un rôle déterminant, des informations, parfois fausses ou tout simplement non vérifiées, circulent. Par leur potentiel émotionnel et avec un certain coup de pouce de l’algorithme, elles ont pu contaminer les débats.

Pister les auteurs

Au-delà du pacte de Marrakech sur les migrations ou des propos complotistes tenus après l'attentat de Strasbourg, c'est lors des manifestations, souvent violentes, qu'un véritable travail de vérification et d'authentification d'images s'est imposé. Car chaque image qui circule désormais interroge. Des voitures sans plaque d'immatriculation vandalisées, preuve d'un coup monté ? Dater et localiser ces photos, et dans l'idéal pister leurs auteurs, permet en fait de retrouver des clichés ou vidéos pris quelques instants auparavant, et de voir les plaques arrachées, tombées à terre, ou détériorées… mais présentes. Des vidéos montrant des policiers ou CRS retirant leurs casques comme autant de marques de soutien aux gilets jaunes ? Il faut authentifier ces images, s'assurer qu'elles ont bien été prises en France, lors du mouvement de contestation, afin de contextualiser ces scènes. Et non, il ne s'agit pas forcément de gestes de solidarité, suite à des négociations entre forces de l'ordre et manifestants. Mais d'une simple procédure des forces de l'ordre, pour faire baisser la tension. Des militaires applaudis à un péage parce qu'ils portent des gilets jaunes ? Des soldats belges obligés de porter ces gilets fluo en déplacements. Et dont le bleu du béret ne trompe pas.

Dès l'acte II, avec la radicalisation du mouvement, la demande de vérification est également montée d'un cran. Des images choquantes de mains arrachées par des grenades , des blessés par des tirs de balles de défense, des violences policières, sur lesquelles il a fallu se pencher.

Silhouette

Le 24 novembre, suite à une vidéo montrant un homme tomber sur la place de l’Etoile face à un peloton de CRS, plusieurs gilets jaunes accusent l’Etat et les médias de passer sa mort sous silence. Malgré le manque de preuves, la rumeur enfle. Les vidéos la relayant se multiplient et dépassent les centaines de milliers de vues. La thèse de ce supposé décès, que ni la police ni les pompiers ne confirmeront, s’appuie sur la chute d’une silhouette et le témoignage d’une femme qui dit avoir vu les CRS lui prodiguer un massage cardiaque avant de le déclarer mort. Il faut alors retrouver cette femme, l’entendre avouer qu’elle n’a pas assisté directement à la scène. Récupérer aussi les images tournées par d’autres journalistes ou manifestants, puis reconstituer les événements. Résultat : l’homme tombé a été récupéré par les manifestants, et des témoins confirmeront qu’il n’est que blessé.

Autre vidéo suscitant l’indignation, une semaine plus tard : un groupe de policiers tabasse un homme seul dans une rue proche des Champs-Elysées. Google permet de localiser la scène, mais l’humain de l’authentifier : «CheckNews»envoie une journaliste qui récolte les témoignages des habitants du quartier, ainsi que d’autres vidéos enregistrées par des voisins, mais non mises en ligne. Au même moment, les images du visage gonflé d’un jeune homme apparaissent sur Snapchat. Pour beaucoup, le lien semble évident. D’autant que le garçon prétend être la victime. Une autre journaliste recueille son récit. Mais le recoupement de sa version avec les images obtenues est imparable : il n’est pas celui qui ploie sous les coups de matraque. Internet, miroir d’une réalité aussi violente que malmenée.