Qu'il paraît loin ce temps où, à la recherche d'économies, Bercy lorgnait une partie des 6 milliards d'euros destinés à financer la prime d'activité. «Un système qui fonctionne assez mal», avait même osé Gérald Darmanin, le ministre de l'Action et des Comptes publics, en juin. C'est pourtant cette même aide, versée par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), qui va servir de bouée de sauvetage au gouvernement pour calmer les gilets jaunes. Dans un entretien aux Echos, Edouard Philippe a confirmé lundi que «l'engagement» d'Emmanuel Macron d'augmenter «le salaire d'un travailleur au smic» de «100 euros par mois dès 2019» passerait bien «par une hausse massive de la prime d'activité», un dispositif issu en 2016 de la fusion entre la prime pour l'emploi et le RSA activité.
Tous les salariés au smic seront-ils concernés par la hausse ?
Non. En refusant de toucher au montant du salaire minimum (1 521 euros net attendus pour janvier après la revalorisation annuelle légale de 1,5 %) pour ne pas pénaliser les employeurs, il était compliqué pour le gouvernement de couvrir «tous les smicards», comme le promettait le candidat Macron. Plus de la moitié des personnes payées au smic (55 % selon l es Echos) verront leur salaire net faire un bond en 2019. Pourquoi pas tous ? Parce que le montant d'une prime d'activité dépend non pas de la situation du seul bénéficiaire, mais des revenus (allocations comprises) et de la composition de l'ensemble du foyer. «Cela peut paraître étonnant, mais 1,2 million de salariés autour du smic se trouvent dans les 30 % de foyers français les plus aisés», a justifié Edouard Philippe dans les Echos.
L'exécutif aurait pu choisir un autre vecteur : une baisse des cotisations retraite. Un choix «plus injuste et qui, à ce titre, a déjà été censuré par le Conseil constitutionnel», a précisé le chef du gouvernement. Mardi, devant les députés, le Premier ministre avait pourtant promis de «faire en sorte […] que l'ensemble de ceux qui sont rémunérés au smic puissent bénéficier de cette augmentation». Ce ne sera pas le cas.
Seuls les salariés au smic seront-ils concernés ?
Non plus. La semaine dernière à l'Assemblée, Edouard Philippe promettait d'«aller plus loin que le dispositif tel qu'il existe aujourd'hui». Sur ce coup-là, ce sera le cas. Le Premier ministre annonce vouloir «élargir le nombre de foyers éligibles» à la prime d'activité. Comment ? Son entourage précise que parallèlement à un article du projet de loi présenté mercredi en Conseil des ministres et qui évoquera sa revalorisation, un décret sera pris d'ici la fin de l'année pour «augmenter le montant de la prime». Ce qui fera entrer des personnes dans son champ, alors que jusqu'à présent un salarié célibataire pouvait l'obtenir s'il gagnait jusqu'à 1,2 smic. Il devrait être possible de l'avoir, demain, jusqu'à 1,5 smic. Résultat, là où, théoriquement, 3,8 millions de foyers sont aujourd'hui éligibles à cette aide (ils étaient 2,66 millions en juin 2018 à l'avoir effectivement touchée), ils seront, selon le gouvernement, 5 millions l'an prochain. Pour ces nouveaux bénéficiaires, le gain sera, selon Matignon, de «40 à 50 euros par mois en moyenne».
Quand ces salariés verront-ils la couleur de cette augmentation ?
Edouard Philippe donne une date précise : «le 5 février». Car si, dans la loi, la date du «1er janvier 2019» a déjà été inscrite au Sénat lors du passage du projet de loi de finances, il y a trois mois de décalage entre la revalorisation et le versement de cette prestation. L'exécutif a donc dû s'assurer auprès de la Cnaf que les virements seraient rapides. Cependant, rappelons qu'une partie de ces «100 euros» a déjà été versée : 20 euros via la suppression de cotisations salariales en octobre et moins de 15 euros pour un célibataire au smic via les revalorisations de la prime d'activité en 2018… Mais les syndicats et une partie de la gauche mettent en garde : «Cette affaire, c'est une escroquerie, estime Fabien Roussel, le nouveau patron du PCF. Le gouvernement dit aux salariés : pour avoir une augmentation, allez récupérer votre argent à la CAF.» Le député du Nord rappelle en outre que les montants de cette prime n'entrent pas dans le calcul des pensions.
Combien cela va-t-il coûter ?
Selon Matignon, 2,5 milliards d'euros. Soit un quart des 10 milliards concédés aux gilets jaunes depuis novembre. Pour financer la simple «accélération» au 1er janvier 2019 des revalorisations exceptionnelles de la prime d'activité prévues en 2020 et 2021, le gouvernement avait déjà fait voter, la semaine dernière, une rallonge de 600 millions d'euros à un budget atteignant déjà 6 milliards d'euros en 2019. Ce dernier devrait finalement être fixé, selon Matignon, «au-dessus de 8 milliards d'euros».
Comment va faire le gouvernement ?
En utilisant les dernières fenêtres de tir parlementaires. La dernière lecture à l’Assemblée du projet de loi finances pour 2019 a débuté lundi en séance plénière et permettra de doper le budget de la prime d’activité.
Dans le projet de loi spécial gilets jaunes, qui doit être présenté mercredi en Conseil des ministres, il sera aussi demandé au gouvernement de rendre au Parlement un rapport sur la mesure dans les six mois. Enfin, un décret est attendu pour la fin de l'année. Attention, en la matière : c'est souvent dans ces détails que se logent, comme l'a qualifié dimanche le président de l'Assemblée, Richard Ferrand, certaines «carabistouilles».