Au cœur de la Bretagne, loin de tout, Gourin, ses 3 972 habitants et son maire de 49 ans, le dynamique David Le Solliec, se sentent «abandonnés». Et ce ne sont pas les appels du pied d'Emmanuel Macron pour qu'il tempère la colère des gilets jaunes en recueillant leurs doléances qui vont y changer grand-chose. «Il va nous aimer, nous adorer, nous câliner, ironise l'édile divers droite. Mais on n'est pas dupes, on a vu comment il nous a traités. C'est comme dans un couple, quand on dit qu'il y a seulement des preuves d'amour. On attend les preuves d'amour du Président».
Manifestement, David Le Solliec qui, après des études de juriste, se consacre à son troisième mandat pour une indemnité mensuelle de 1 800 euros, en a gros sur la patate. Et si, fort de son expérience, il sait que le désengagement de l'Etat vis-à-vis des communes rurales ne date pas d'aujourd'hui, l'ère Macron n'en a pas moins marqué selon lui un tournant. «Avec Hollande, on était déjà à l'os et Macron en a rajouté une couche, dénonce-t-il. Avant son élection, on était lâchés mais ça se faisait poliment, on n'était pas dans le mépris et l'agressivité. Le problème de Macron, c'est que c'est un surdoué qui n'a jamais redoublé, or c'est important d'échouer et de mettre les mains dans le cambouis.»
Financements
Par la fenêtre de sa mairie, d'où on aperçoit la place centrale de Gourin sens dessus dessous, le temps de travaux d'embellissement et d'accessibilité pour les handicapés, David Le Solliec a un bel exemple du désengagement de l'Etat sous les yeux. «Il y a quelques années, on aurait été soutenu à 50 % par les collectivités, soupire-t-il. Etat, région, département. Pour ce chantier, qui va nous coûter 2 millions d'euros, on va recevoir 15 % de subventions et pas un euro de l'Etat. Pour la première fois, nous avons dû reporter une partie des travaux, faute de financements. C'est comme ça pour un tas d'aménagements ruraux qui sont arrêtés en plein vol.» Pour l'élu, qui attendait un rééquilibrage des «dotations globales de fonctionnement [DGF]», allouées par l'Etat aux municipalités rurales pour compenser les avantages dont profitent déjà les pôles urbains, ne serait-ce qu'en matière de transports, la messe est dite. «Au lieu d'un rééquilibrage pour entretenir nos routes, pour maintenir nos services publics, Macron nous a dit : soyez heureux, je ne baisse pas la DGF ! Alors qu'on est en train de crever ! Aujourd'hui, Paris a fait une croix sur le rural, on ne pèse plus rien.» Rien d'étonnant dans ces conditions à ce que David Le Solliec ait été un des tout premiers habitants de Gourin à enfiler le gilet jaune, organisant dès le 17 novembre, avec un entrepreneur de la commune, une opération escargot jusqu'à Lorient.
«Gafa»
Autre raison de cette adhésion, la «paupérisation» de ses administrés, dont les rémunérations n'ont pas évolué alors que tout augmente : «Les taxes, les impôts, la téléphonie, la nourriture…» Mais aussi des mesures aux lourds impacts dans les campagnes, comme la limitation à 80 km/h qui, peste-t-il, rallonge les temps de trajet quand beaucoup travaillent à 20 ou 40 km de leur domicile.
Ancien cadre régional de l'UMP, puis membre éphémère de LR, Le Solliec a quelques solutions à proposer. Il pointe «les milliards qu'on ne prend pas aux Gafa» ou le grand ménage qui pourrait être fait parmi «les hauts fonctionnaires placardisés et les 1 200 structures de conseil de l'Etat». Pour l'heure, il continue à soutenir un mouvement qu'il juge «complètement légitime» et se dit prêt si nécessaire à relayer les revendications des gilets jaunes. Mais sans illusion sur les intentions de l'Elysée qui, en voulant «se rabibocher» avec les maires, ne cherche selon lui qu'à gagner du temps.
Photo Vincent Gouriou