En communication politique, quand le coup part de travers, il est compliqué de rectifier la trajectoire. Depuis dix jours, l'exécutif en offre une démonstration éclatante avec le SAV de la promesse présidentielle d'offrir «100 euros» de plus par mois «dès 2019» pour «un travailleur au smic». Les choses auraient été sûrement beaucoup plus simples si Emmanuel Macron, lors de cette annonce télévisée, n'avait pas précisé que ce coup de pouce se ferait «sans qu'il en coûte un euro de plus pour l'employeur». Ce codicille signifiait - déjà - que l'exécutif avait l'intention d'en passer par la prime d'activité. Or, depuis un an, le gouvernement ne cesse - justement - de s'embrouiller avec cette mesure.
«Accélération»
Reprenons depuis le début. Sitôt l'allocution d'Emmanuel Macron terminée, les bandeaux des chaînes d'info en continu ont titré : «Hausse du smic de 100 euros en 2019». Déjà, ça partait mal… Les rares ministres et parlementaires sur les plateaux ont alors dû confirmer que le gouvernement, «en cohérence» avec sa politique économique pro-entreprises, ne comptait pas relever le salaire minimum. En coulisses, les conseillers ministériels ont donc fait le boulot pour dépiauter ces 100 euros présidentiels. Au départ, il s'agissait d'une simple «accélération» des revalorisations prévues de la prime d'activité : les deux fois 20 euros prévus en 2020 et 2021 (40 euros donc) seraient ainsi versées dès 2019. Le gouvernement ayant déjà fait voter une revalorisation de 30 euros pour l'an prochain, on arrivait à 70 euros de plus qu'en 2018. La différence pour arriver aux 100 euros de Macron ? Que ce soit à Bercy, à Matignon ou au ministère du Travail, on expliquait alors qu'il fallait intégrer au calcul les hausses de la prime d'activité de 2018 (13 euros pour un célibataire au smic) et les 20 euros de baisses de cotisations obtenus en octobre. Avec la revalorisation légale du salaire minimum au 1er janvier indexée sur l'inflation, on arrivait, nous expliquait-on alors, «au-delà» de 100 euros supplémentaires par rapport à décembre… 2017. Mais par rapport à 2018, on restait sur 70 euros et avec ce choix de la prime d'activité, «tous les salariés au smic» ne pouvaient pas être concernés.
Cela n'avait pas échappé à Edouard Philippe : dès le lendemain de l'allocution présidentielle, le Premier ministre s'est engagé devant les députés à ce que «l'ensemble de ceux qui sont rémunérés au smic puissent bénéficier de cette augmentation». Résultat, les ministres ont commencé à changer leur façon de compter. Exit les 20 euros issus de la suppression des cotisations en 2018. Bonjour un meilleur «bonus» pour la prime d'activité via un décret promis par Matignon «d'ici la fin de l'année» et revoilà la dizaine d'euros issue de la revalorisation traditionnelle du salaire minimum au 1er janvier. Problème, en choisissant d'y intégrer ce coup de pouce légal, le montant affiché dans le projet de loi spécial pour répondre à la crise des gilets jaunes, adopté mercredi en Conseil des ministres, ne sera pas de «100» mais de… «90 euros».
Et voilà comment, à cause d'une communication défaillante au départ, le gouvernement laisse croire qu'il ne répond pas à la promesse présidentielle alors qu'il va en réalité… au-delà. A la fin, la majorité va plus loin que les «100 euros» pour «tous les smicards qui bénéficient de la prime d'activité» annoncés par Emmanuel Macron dans son programme présidentiel : en élargissant le champ de la prime d'activité, l'exécutif a pourtant fait un vrai choix de justice fiscale en permettant à de nouveaux travailleurs modestes de bénéficier de cette aide.
«Lisible»
Or, avec une telle communication, la majorité finit par prêter le flanc à ses opposants et risque de faire des déçus parmi les salariés au smic qui ne verront pas 100 euros de plus sur le montant net de leur feuille de paie en janvier ou février. Soit parce qu’ils bénéficient d’autres revenus, soit parce que leur conjoint gagne plus, soit parce qu’ils en sont restés aux 100 euros de l’annonce présidentielle et aux bandeaux des chaînes d’infos en continu et qu’ils ne constateront qu’une augmentation de 90 euros…
Les députés LREM réclament depuis des jours des mesures «simples» et «lisibles». Une partie de la majorité tape depuis des jours sur la «technostructure» qui complexifierait l'esprit présidentiel. Mais si ce choix de la prime d'activité a été fait, c'est pour une raison politique : le refus d'augmenter le salaire minimum. Lorsqu'on veut «en même temps» résoudre les problèmes de pouvoir d'achat et ne pas pénaliser la «compétitivité» des entreprises, on prend le risque de la complexité.
photo Denis Allard pour Libération