«En France, c'est rare que ce genre d'histoire finisse bien.» Nacim Bardi, délégué syndical CGT d'Ascoval, a enfin un début de sourire. Lâchée par son actionnaire Vallourec, l'aciérie nordiste est officiellement sauvée. Pour un temps en tout cas. Le tribunal de grande instance de Strasbourg a accepté mercredi l'offre de reprise d'Ascoval déposée par Altifort, le groupe franco-belge, sans aucune réserve, après une longue matinée d'attente. La liquidation judiciaire est évitée, 281 emplois sauvés, et même plus de 1000 si on compte les sous-traitants.
C'est la fin d'un feuilleton d'un an, «avec plus de bas que de hauts», a rappelé Cédric Orban, directeur général de l'aciérie de Saint-Saulve, près de Valenciennes (Nord). «Unité syndicale et unité politique, vous avez les deux ingrédients» de la réussite, développe Nacim Bardi. Et un grand «merci» à l'Etat, n'a pas oublié de rappeler Cédric Orban devant les salariés : la puissance publique ayant promis d'apporter 25 millions d'euros à Ascoval, à côté des 12 millions versés par le conseil régional et des 10 millions de Valenciennes Métropole, sur un total de 180 millions d'euros.
Laminoir
Il y a encore peu, personne ne donnait cher de la peau d’Ascoval : le fabricant de tubes Vallourec, seul actionnaire restant de l’aciérie, refusait de soutenir financièrement le plan de reprise d’Altifort. Ce dernier prévoit la construction d’un nouveau laminoir et d’un train à fil pour fabriquer des tubes d’acier, dans l’optique de diversifier les débouchés de l’usine. Pendant le temps des travaux, Altifort demandait donc à Vallourec de continuer à se fournir à l’aciérie.
Mais en septembre, le groupe parapétrolier a opposé une fin de non-recevoir à la demande d'Altifort. Il estime alors le projet peu viable. C'est aussi l'avis à l'époque de Bercy, qui ne voit pas vraiment l'intérêt de soutenir une unité industrielle pour mieux la voir fermer un ou deux ans plus tard. L'intersyndicale et la direction de l'usine, main dans la main, en appellent donc aux politiques locaux. Xavier Bertrand (ex-LR), président du conseil régional, a tapé du poing sur la table, suivi par Fabien Roussel, député PCF du Nord et désormais secrétaire national du parti, et par Valérie Létard, sénatrice centriste du Valenciennois. «Comme Macron s'était engagé sur le dossier, Le Maire a été obligé de trouver une solution», note Roussel, qui reconnaît «l'engagement du ministre de l'Economie».
Echalas
Car en engageant le gouvernement sur ce dossier, c’est bien Bruno Le Maire qui a redonné espoir et combativité aux salariés. Ils ont mis l’aciérie à l’arrêt, bloquent le rond-point devant l’usine, sans un mot plus haut qu’un autre, dignes. Le 25 septembre, le ministre annonce que l’Etat fera tout pour garantir la pérennité d’Ascoval, contre l’avis de son monsieur industrie, Jean-Pierre Floris. Sans faire changer d’avis Vallourec, dont les pertes financières s’élèvent à 307 millions pour le seul premier semestre. Altifort persiste, démarche les clients potentiels, remplit un carnet de commandes prévisionnel pour asseoir son offre, et emporte le morceau à Bercy, où tout le monde n’est pas encore convaincu. Les réunions se succèdent, l’union syndicale tient bon, à fond derrière Bart Gruyaert, cofondateur d’Altifort. Un entrepreneur jeune, grand échalas à l’accent flamand, dont les ouvriers commencent à bien connaître la silhouette.
«Des lourdeurs administratives ont pesé dans ce dossier, malgré la volonté politique forte du gouvernement, regrette Roussel. Bercy a demandé des tonnes de documents à un repreneur qui a souvent été vu non pas comme un sauveur, mais comme un suspect.» Le député PCF poursuit, non sans humour : «Je me mets à la place du patron, de cet industriel prêt à investir et qui se trouve devant un mur administratif digne des plus grandes heures du régime soviétique.» Et conclut : Ascoval, «c'est la preuve que quand on veut, on peut». Xavier Bertrand ne dit pas autre chose : «On ne peut pas gagner à chaque fois, mais on doit se battre à chaque fois. C'est avec des combats comme celui-là que je sais comment la politique peut aider.»