Tout un symbole. Quelque 300 manifestants, bien moins que pour les mobilisations précédentes, rassemblés devant un hôtel de ville bunkerisé, à l’entrée minutieusement filtrée par des rangées de barrières gardées par une cinquantaine de CRS. Public trié sur le volet, fouille des sacs, interdiction de stationner et de circuler aux abords du bâtiment… Ambiance lourde à Marseille jeudi matin pour le premier conseil municipal depuis la catastrophe du 5 novembre, où huit personnes ont trouvé la mort dans l’effondrement de deux immeubles.
Ce sont des cercueils noirs au nom des huit victimes que les manifestants avaient choisi de brandir face à l’hôtel de ville, au son de la marche funèbre de Chopin. Jean-Claude Gaudin ne l’entendra pas, déjà installé dans son fauteuil de maire, prêt à ouvrir la séance largement consacrée à la question du logement et des conséquences du drame de la rue d’Aubagne. Au programme, le vote de neuf délibérations traitant essentiellement de l’urgence - la prise en charge des près de 1 500 sinistrés délogés dans les semaines ayant suivi les effondrements -, avant un débat plus global sur le logement. Et, en préambule, la minute de silence tenue par l’ensemble des élus en mémoire des victimes, tant attendue depuis des semaines par les familles.
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«J'ai entendu les douleurs, les colères, les critiques, et j'ai fait face dans la tempête avec la charge considérable du capitaine qui doit remplir sa mission et je continuerai à le faire», s'est pourtant gargarisé Jean-Claude Gaudin, qui avait organisé la veille, sur le fil, un rendez-vous avec les associations et collectifs de citoyens œuvrant aux côtés des sinistrés. Sous le feu des critiques depuis le drame, le maire a préféré longuement rappeler le «travail extraordinaire» de ses services municipaux pour répondre à la crise. Gestion des évacuations, accueil et prise en charge financière des évacués, relogement et même fête de Noël pour les personnes toujours consignées dans leurs hôtels un peu partout dans la ville…
Outre les mesures d'urgence, le maire a pris le temps de défendre l'action municipale en matière de lutte contre le logement indigne menée sous ses différents mandats, objet de toutes les critiques depuis la catastrophe. «Mais toute démonstration se heurtera toujours au fait que le 5 novembre 2018, trois immeubles se sont effondrés, causant la mort de huit personnes, a-t-il convenu. Cela ne doit plus arriver. La question maintenant est de faire plus, mieux et plus vite.» Ultime annonce, la confirmation d'une demande à l'Etat de reconnaissance de catastrophe naturelle pour le drame afin de débloquer les procédures d'indemnisation pour les sinistrés. De l'autre côté des murs, derrière les barrières, la réponse simultanée de la rue est cinglante : «Gaudin, c'est toi la catastrophe naturelle», ont hué les manifestants.
Dans l'hémicycle, l'opposition aussi trépigne. C'est Jean-Marc Coppola, élu communiste, qui a ouvert le bal, dressant un réquisitoire contre la majorité municipale. «Vous avez eu quatre mandats et de nombreuses responsabilités pour remédier [à l'habitat indigne] et, aujourd'hui, la fracture est pire qu'il y a vingt-trois ans !» a dénoncé l'élu. Pour lui, le drame de la rue d'Aubagne «découle de choix délibérés, ceux d'une politique d'inégalité et de bradage, d'une politique décidée à faire partir de la ville tout un peuple de femmes et d'hommes pour en faire une ville plus sage, plus start-up, plus "croisières"». Plus tard, Benoît Payan, chef de file du groupe PS, enfoncera le clou : «Non, les habitants de la rue d'Aubagne ne sont pas morts de la pluie, du hasard ou du destin, mais de l'abandon, du cynisme et du mépris !»
«Enfumage»
Les mains croisées, calé dans son siège, Gaudin ne répondra pas tout de suite aux attaques, se contentant de laisser ses adjoints monter au front. Les arguments sont les mêmes depuis un mois et demi : complexités administratives et législatives, responsabilité partagée… Après trois heures de joutes politiques, le maire a pris soin de laisser le dernier round à ses deux dauphins désignés. Le sénateur Bruno Gilles, lui, portera une proposition de loi renforçant la lutte contre les marchands de sommeil. La présidente de la métropole, Martine Vassal, elle, avait déjà présenté fin novembre son plan de lutte contre l’habitat indigne.
La gauche aussi avait apporté des propositions, notamment pour sortir de la crise, depuis l'application du permis de louer en passant par les réquisitions. Sans s'y déclarer défavorable, le maire a pourtant refusé de les soumettre au vote du conseil. «On attendait une discussion sur les propositions et on a eu de la politique politicienne, a commenté Benoît Payan à la sortie. Tant de mépris, d'enfumage… Le maire a voulu se contenter d'un débat car cette municipalité se paie de mots. Mais dehors, les manifestants attendaient des actes.» Peut-être n'attendaient-ils plus rien du tout : devant l'hôtel de ville, la foule s'était dispersée en milieu de matinée, bien avant la fin des débats.
Photo Patrick GHERDOUSSI