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Libération
Libé des animaux

«Je ne demande pas plus à mes vaches que ce que leurs capacités leur permettent»

Dans leur ferme, Eglantine Touchais et Stéphane Galais veillent à ce que leurs bêtes aient de bonnes conditions de vie moyennant une participation mesurée aux activités agricoles.
A la ferme du Guyoult, à La Boussac (Ille-et-Vilaine), le 6 décembre. (Photos THIERRY PASQUET. SIGNATURES)
publié le 23 décembre 2018 à 19h06

Après le boulot, elles adorent se reposer sur l’herbe entre collègues. Kenny, 21 ans, et Amelia, 8 ans, bossent toutes les deux à la ferme du Guyoult. Pas une mauvaise place. Elles ont un contrat de trois heures par semaine, qui peut monter à cinq voire dix heures. Tout le reste en RTT. Elles n’ont pas droit aux tickets repas mais la cantine est vraiment pas mal : bonne herbe l’été et fourrage l’hiver. Le labeur en lui-même consiste à transporter du foin ou du fumier, à tirer entre les plants de salade et de poireaux une bineuse, une buteuse ou une petite charrue. Les deux juments de trait breton partagent leur espace de travail - un open space de 20 hectares entre Saint-Malo et le Mont-Saint-Michel - avec une quinzaine de pies noires. Ces petites vaches rustiques noires et blanches doivent turbiner une dizaine de minutes par jour, à l’heure de la traite. Et elles portent un veau par an. Pas de week-end, ni de vacances, mais beaucoup de temps libre : hors de la collecte du lait, elles paissent à l’air libre entre copines.

Les managers de tout ce beau monde ont pour nom Eglantine Touchais et Stéphane Galais. Mariés et 44 ans tous les deux. Leur ferme, labellisée bio, produit des légumes (en ce moment : radis noir, navets, choux, mâche, carottes…) et des produits laitiers comme le gwell, une recette traditionnelle de yaourt breton. Leur production est destinée au circuit court : elle est vendue aux Amap (associations pour le maintien d’une agriculture de proximité), en Biocoop ou sur le marché des Lices, à Rennes. La petite entreprise ne se porte pas trop mal : Eglantine et Stéphane vont prochainement recruter une troisième personne pour les aider.

Traite mobile

Avec leurs animaux, les deux quadras bretons n'ont pas exactement un rapport de patrons à employés. «Il n'y a pas eux d'un côté et nous de l'autre», pose Stéphane, qui parle de «coexistence». Selon son idée, vaches, chevaux et humains ont chacun leur rôle à jouer pour que l'équilibre de la ferme fonctionne. Si les bêtes travaillent, c'est en échange d'une attention des paysans à leur «bien-traitance» et leurs «conditions de vie», des termes que Stéphane préfère à «bien-être». «Je ne leur demande pas plus que leurs capacités psychologiques et physiques le permettent», note le paysan. Le poids que les juments doivent tirer est mesuré précisément pour qu'elles ne se fatiguent pas. La salle de traite est mobile : ce sont Eglantine et Stéphane qui se déplacent là où les vaches ont décidé d'aller paître. Globalement, le travail demandé doit répondre à un principe : les «interactions» avec les humains doivent être «neutres ou positives», assure Stéphane. Par exemple en agrémentant les efforts de récompenses alimentaires.

«L'animal, ce qu'il veut, c'est ne pas stresser», explique le paysan en caressant le chanfrein de Mickel, le bœuf du troupeau. «C'est super chiant, la vie d'un cheval ou d'une vache ! Et c'est ce qu'ils aiment : passer leur temps à paître en paix.» C'est la garantie qu'il offre à ses quadrupèdes : une vie bonne - tout en restant tout de même dans le cadre d'un élevage - en paiement des services rendus. «On essaie de trouver les conditions qui correspondent aux motivations de l'espèce : un groupe stable, une diversité alimentaire, une nourriture riche en fibres, une liberté de mouvement, de la sécurité», détaille Stéphane. Pour cela, le couple habitue très progressivement ses animaux à la traite ou au tirage des outils agricoles. Issu d'une famille qui compte cinq générations d'agriculteurs, Stéphane en est l'héritier, mais il est aussi en rupture. Militant à la Confédération paysanne, il est membre du groupe de travail «homme-animal» au sein du syndicat et a lu un tas de livres scientifiques et philosophiques sur la condition animale. Titulaire d'un diplôme universitaire d'éthologie, il est également comportementaliste équin.

Militantisme

Au Guyoult, on discute autant des problèmes du quotidien que des grandes idées qui agitent le monde. La ferme est abonnée au Monde diplo et c'est France Culture qui tourne en fond sonore pendant que les humains travaillent. «Eglantine et moi, on a l'habitude de dire qu'on vit notre aventure agricole comme un engagement politique», dit Stéphane. Leur exploitation a été pensée pour être en cohérence avec leur militantisme écolo. Mais pas animaliste - une «idéologie totalitaire» selon lui. Entre l'option végane et l'option industrielle, il préfère une voie médiane, qui laisse les vaches et les chevaux dans leur condition d'animaux d'élevage mais cherche à respecter leurs motivations. Pour lui, ses bêtes ne travaillent pas, une notion jugée trop «sociale». Elles «participent aux activités agricoles». La libération des classes laborieuses reste un truc de bipèdes.