L’année 2018 fut vierge d’élection. C’est pourtant bien durant l’an II de son quinquennat qu’Emmanuel Macron a perdu le contact avec le peuple, avant de prendre sa colère en pleine face avec le mouvement des gilets jaunes. Si l’augmentation de la taxe sur les carburants fut la goutte de trop, c’est bien sa personne, «méprisante», qui fut alors autant ciblée que ses actes, «injustes». Comme si le dégagisme dont il avait bénéficié en 2017 ne s’était pas arrêté, loin de là, avec sa victoire à la présidentielle.
Après avoir conquis le pouvoir en dix-huit mois sur le dos de l'«ancien monde», avant de dilapider en autant de temps une large part de son fragile capital politique, Emmanuel Macron a fini l'année 2018 un genou à terre. Avant même les vœux du réveillon, le chef de l'Etat a été contraint de mettre plusieurs milliards sur la table lors d'une allocution qui visait non pas à décrocher les gilets jaunes des ronds-points, mais à décrocher l'opinion des gilets jaunes. Un va-tout un peu vite vendu comme un «tournant social».
Embardées
Avec ses mesures sur la prime d’activité, la CSG et les heures supplémentaires - autant de corrections qui ne remettent rien en cause du cap général du quinquennat -, mais aussi avec le grand débat national qui doit se tenir début 2019, Macron espère rétablir une part de sa capacité à conduire encore des réformes. Mais si la décrue semblait de mise sur les ronds-points à Noël, l’affaire n’apparaît pas gagnée. Dans les turbulences sociales du dernier trimestre, le pouvoir, chahuté comme jamais, est surtout resté fort de la faiblesse de ses adversaires.
L’année qui s’achève s’était pourtant ouverte sous de meilleurs auspices. Dans le champ de ruines toujours fumant de la présidentielle et fort du raz-de-marée LREM aux législatives de juin 2017, rien ne semblait pouvoir résister à la déferlante du «nouveau monde». Premier acte de l’année 2018, Macron a mis fin au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. De quoi satisfaire en partie la gauche, mais en braquant largement la droite. Et très vite, notamment avec la «réforme» de la SNCF et son lot de contestation sociale, la machine macronienne s’est comme grippée toute seule, plus suffisante qu’autosuffisante. Il est alors apparu de plus en plus nettement que la France n’était pas devenue macronienne avec la victoire de Macron et l’élection de plus de 300 députés LREM. Les embardées se sont alors multipliées et le gouvernement a, parfois de lui-même, multiplié les sorties de route. «Jupiter» a perdu le mojo, illustrant le fait que si la conquête du pouvoir est une chose, son exercice en est une tout autre.
Avec un Parlement le doigt sur la couture, Macron a toutefois déroulé bien des dossiers durant les six premiers mois de l’année, le tout en durcissant le ton sur la question de l’accueil des migrants. Ou comment perdre, à gauche, des plumes sur le plan des valeurs, sans gagner, dans le pays, du crédit sur le plan des résultats, notamment à droite. Mais plus largement, c’est la gouvernance Macron qui a concentré des critiques croissantes. La verticalité, censée servir à une représidentialisation de la fonction, est apparue comme une rigidité, signe de sa déconnexion avec la «vraie vie». Et le volontarisme comme de l’entêtement. Dans les sondages, ce fut le carnage. Et ce n’était que le début.
«Hubris»
A l’été, si l’affaire Benalla n’est pas restée un banal fait divers, c’est bien parce qu’elle est apparue de façon criante comme un révélateur du fonctionnement, clanique et fort peu transparent, du sommet de l’Etat. Un entre-soi où les contre-pouvoirs, qu’il s’agisse de la justice ou de la presse, sont maintenus à distance. S’il a bien sûr été instrumentalisé par toutes les oppositions, l’épisode et le travail télévisé des commissions d’enquête du Parlement ont marqué le quinquennat. Ce ne sont pas les derniers rebonds de l’affaire autour des passeports diplomatiques de l’ex-adjoint au chef de cabinet de l’Elysée qui prouveront le contraire.
Au dernier trimestre, l'«itinérance mémorielle» présidentielle durant les commémorations du centenaire de la fin de la Grande Guerre, censée permettre au chef de l'Etat de retrouver de l'air et de renouer le fil avec les Français, a tourné au fiasco. En pleine rentrée politique, Nicolas Hulot a, lui, claqué la porte, avant que Gérard Collomb ne fasse de même en octobre. Deux poids lourds de la macronie. Le premier mettant le doigt sur l'incompatibilité entre le libéralisme macronien et la lutte contre le réchauffement climatique. Le second, parrain politique de la mise en marche du candidat Macron, pointant, lui, la façon de gouverner du chef de l'Etat. Un mot a marqué les esprits : «hubris».
Un mois plus tard, la crise des gilets jaunes éclatait, avec en ligne de mire le fond comme la forme de ce président désormais caricaturé en tenant de l’ancien régime. Le nouveau monde a du plomb dans l’aile.