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Libération
Portrait

Eric Drouet, nuit au frais et cris d’orfraie

Figure emblématique du mouvement, le chauffeur routier a été interpellé mercredi alors qu’il se dirigeait vers les Champs-Elysées. La police a jugé qu’il s’agissait d’une manifestation illégale. Libéré jeudi après-midi, il avait déjà été arrêté fin décembre pour port d’arme prohibé en marge d’un cortège parisien.
Eric Drouet lors de son arrestation mercredi, près de la place de la Concorde, à Paris. (Capture Clément Lanot)
publié le 3 janvier 2019 à 20h46

Physiquement, Eric Drouet est un mélange d'Alexandre Benalla et Alexis Corbière. Co-initiateur du «blocage national contre la hausse des carburants» du 17 novembre, ce trentenaire s'est imposé comme l'un des visages les plus médiatiques des gilets jaunes. Visé par plusieurs procédures judiciaires avant son arrestation, mercredi à Paris, cette figure qui «fascine» Jean-Luc Mélenchon va-t-elle devenir un martyr de la cause ?

Qui est Eric Drouet ?

Originaire de Melun, en Seine-et-Marne, ce chauffeur routier et fan de tuning de 33 ans a surgi sur la scène médiatique mi-novembre, quand le mouvement a débuté. Quelques semaines plus tôt, c’est lui et ses amis d’un club de passionnés d’automobile, le «Munster Crew», qui lançaient sur Facebook un appel à protester contre les prix de l’essence. Il s’agissait alors seulement de bloquer les routes. Après le week-end du 17 novembre, il crée avec Priscillia Ludosky, qui a lancé une pétition contre les prix du carburant, un nouvel événement pour appeler à manifester à Paris le samedi suivant. L’engrenage commence.

Ses débuts médiatiques ont été difficiles. Après un passage compliqué sur BFM TV le 13 novembre, il disparaît quelques jours des radars, avant de faire son retour sur les réseaux sociaux. Son groupe Facebook «La France en colère !!!» créé le 15 novembre rassemble désormais plus de 295 000 membres. Son moyen de communication privilégié ? Les vidéos, réalisées dans l’habitacle de son camion ou sur son canapé. Les questions tombent sur son écran de smartphone : il y répond en direct. C’est lui qui donne, à la dernière minute, le lieu et l’heure des manifestations. Drouet fera partie des huit personnes désignées pour incarner le mouvement le 26 novembre. Dès le lendemain, il accepte de rencontrer le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, mais refuse l’invitation du Premier ministre quelques jours plus tard, répétant en boucle qu’il n’est pas le leader des gilets jaunes.

Pourquoi est-il controversé ?

En sept semaines, Eric Drouet a nettement élargi le champ de ses revendications, portées au nom des gilets jaunes. Au départ, il limite son propos aux taxes en tout genre. Mais, dans ses longs monologues, perce assez vite l'idée que les Français subissent une politique faite par des dirigeants qui ne leur ressemblent pas et que le peuple doit «reprendre le contrôle» de sa destinée. Le 2 décembre, lors d'un direct sur BFM TV, on lui demande quelle est la finalité du mouvement qui, chaque samedi, cherche à s'approcher de l'Elysée. «On rentre dedans», répond-il, se retrouvant illico accusé par l'exécutif d'avoir appelé au putsch… Ces propos lui valent l'ouverture d'une enquête par le parquet de Paris pour «provocation à la commission d'un crime». «J'ai jamais dit que je voulais aller à l'Elysée pour tout casser mais pour se faire entendre», se défendra-t-il dès le lendemain.

Un dialogue avec une autre figure du mouvement, Maxime Nicolle (alias «Fly Rider»), le fait flirter avec les thèses complotistes et la diffusion d'intox. Dans une vidéo, ils évoquent le «pacte mondial pour des migrations sûres», ou pacte de Marrakech. Nicolle assure que ce texte va faire entrer des centaines de milliers de migrants dans le pays et qu'Emmanuel Macron va bazarder le siège permanent de la France aux Nations unies. «C'est chaud, c'est chaud, c'est chaud», répond Drouet.

Largement relayée sur les réseaux, son affiliation au «conseil national de transition», une nébuleuse d'extrême droite, ne repose, elle, sur rien de tangible. Le routier affirme en outre qu'il n'a pas voté pour Marine Le Pen en 2017 et tape avec virulence sur tous les politiques. Le 22 décembre, en marge de l'acte VI de la mobilisation à Paris, Drouet est arrêté en possession, selon la description du parquet, d'une «matraque en bois avec une lanière, comme pour l'accrocher au poignet». Il a ensuite été placé sous contrôle judiciaire, ce qui ne l'a pas empêché d'être à Paris mercredi.

Pourquoi a-t-il été arrêté mercredi ?

Avant la Saint-Sylvestre, le trentenaire avait laissé entendre qu'il se rendrait à Paris le 2 janvier pour une «grosse action». «On veut choquer l'opinion publique», promettait-il mercredi, juste avant de débouler sur les Champs-Elysées pour un rassemblement sans gilet jaune. Une manifestation légale, selon Drouet. L'idée ? Prouver que la police allait les en empêcher, ce qui constituerait, à ses yeux, la preuve d'un Etat liberticide. Considérant qu'il s'agissait justement d'une manifestation illégale, les policiers l'ont arrêté rue Royale, sous les huées de manifestants et le regard des caméras qu'il avait convoquées. Le routier passera la nuit en garde à vue avant d'être libéré jeudi après-midi. A sa sortie, il a dénoncé une «interpellation politique» jurant qu'il se rendait mercredi à un rendez-vous «dans un restaurant». Dans un communiqué, le parquet de Paris a rappelé que Drouet avait déjà été placé en garde à vue le 22 décembre pour «organisation d'une manifestation sans déclaration», «participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations» et port d'arme prohibé - avant de préciser que la nouvelle procédure sera jointe à la première et fera l'objet d'une convocation au tribunal le 15 février.

Quelles ont été les réactions politiques ?

La majorité a fait bloc pour défendre cette nouvelle interpellation, qui risque toutefois de remettre de l'huile sur le feu. «Quand quelqu'un organise une manifestation alors qu'elle n'est pas déclarée, c'est qu'il ne respecte pas l'Etat de droit», a ainsi justifié le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Mais du côté de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon en tête , du Rassemblement national et d'une partie du Parti socialiste, on a fustigé une instrumentalisation «politique» des forces de l'ordre. Signe pour Gilbert Collard (RN) d'un pouvoir «en panique» qui se livre, selon Eric Coquerel (LFI), à une «persécution» de ses opposants. A LR, où les leaders sont largement inaudibles depuis le début du mouvement, on a pratiqué l'équilibrisme consistant à défendre d'un côté le respect de la loi tout en se joignant, de l'autre, au flot des critiques contre le pouvoir.