Protéger l’entreprise avant son patron. Telle est la ligne du gouvernement français depuis l’arrestation surprise de Carlos Ghosn le 19 novembre à Tokyo.
Qu’a dit l’exécutif au début de l’affaire ?
Le jour même, depuis Bruxelles, Emmanuel Macron avait insisté sur le fait que «l'Etat, en tant qu'actionnaire, sera extrêmement vigilant à la stabilité de l'alliance et du groupe». «Notre priorité […], c'est la stabilité de Renault et la stabilité de l'alliance entre Renault et Nissan […]. Nous avons besoin d'un constructeur qui soit fort, solide et intégré», avait ajouté, le lendemain, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, appelant à «une gouvernance intérimaire».
Quant aux faits reprochés par la justice nippone au patron de Renault, Macron a estimé à chaud qu'«il [était] trop tôt pour se prononcer sur la réalité et la matérialité de faits sur lesquels je ne dispose pas d'éléments supplémentaires». Le Maire a, lui, eu moins de pudeur : «Il n'est, de fait, plus en l'état de diriger le groupe», déclarait-il au lendemain de l'incarcération de Ghosn, précisant tout de même que le gouvernement, majoritaire au conseil d'administration de la marque au losange, «n'allait «pas demander [son] départ formel». «Pour une raison qui est simple», précisait le ministre : «Nous n'avons pas de preuves.»
Depuis un mois et demi, l'exécutif avance donc avec une extrême prudence. Pas question de lâcher publiquement le patron de Renault car cela pourrait affaiblir les intérêts français dans le partenariat noué avec Nissan. Mais difficile aussi de défendre à fond un grand capitaine d'industrie dont les salaires ont été, ces dernières années, mirobolants et qui pourrait, demain, être condamné pour fraude fiscale par la justice d'un pays allié. «Tant qu'un jugement de condamnation n'est pas intervenu, toute personne est présumée innocente. C'est le cas de Carlos Ghosn», a quant à lui rappelé Edouard Philippe mi-décembre, dans une interview aux Echos.
Qu’en dit la France aujourd’hui ?
A deux jours de la première audition publique du PDG de Renault depuis son arrestation, Le Maire a poursuivi dimanche sur cette même ligne : «La position de l'Etat est constante depuis le début : il y a une présomption d'innocence, a-t-il martelé sur Europe 1. Moi je ne dispose pas d'éléments qui me permettent de demander le départ de M. Ghosn. D'éléments probants qui aient été soumis à la contradiction de la défense.» En revanche, a-t-il ajouté, «si M. Ghosn devait être durablement empêché – si et seulement si – nous en tirerions des conséquences. Mais nous n'en sommes pas là aujourd'hui.» Et à ceux qui accusent le gouvernement d'avoir déjà lâché Ghosn, Le Maire a rétorqué : «Croyez-moi bien je m'occupe, avec d'autres dans le gouvernement, de cette question tous les jours […], avec un souci principal : la pérennité de l'alliance et la solidité de Renault.»
Le Medef soutient-il Ghosn ?
Le silence du patronat est assourdissant. Libération a sollicité directement Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef : il n'a pas souhaité répondre. Pas plus que l'Association française des entreprises privées, qui regroupe les poids lourds de l'économie et dont Renault est membre. «Pas de commentaires si ce n'est que c'est un grand dirigeant», indique-t-elle.