Jamais l’écart n’a été aussi important entre Paris et nombre de villes françaises. Les tarifs de la pierre dans la capitale sont aujourd’hui dix fois supérieurs à ceux de Saint-Etienne ou Limoges. Un phénomène lié à la «métropolisation» des villes, explique le sociologue François Cusin , professeur à Paris-Dauphine-PSL (1).
Qu’est-ce que la métropolisation et en quoi la France est-elle concernée ?
Il faut distinguer Paris des autres métropoles françaises. La métropolisation est d'abord un phénomène mondial. Elle se définit par une hyperconcentration économique et démographique dans un nombre très limité de villes qui sont en concurrence. Paris évolue sur une scène internationale. Elle est devenue la troisième ville la plus chère au monde derrière New York et Londres. Elle fait partie de ce qu'on nomme les «villes globales» dont les caractéristiques sont l'implantation de sièges des multinationales, la concentration d'activités financières et technologiques, l'offre d'équipement et de services, y compris une offre culturelle importante. Les prix de l'immobilier correspondent, à Paris comme à Londres, à cette attractivité globale et cette concentration des activités économiques à très forte valeur ajoutée.
Qui peut habiter ces villes globales ?
Pour Paris, l’ajustement des lieux d’habitation des ménages aux prix très élevés se fait par l’éloignement du centre. Mais Paris et sa banlieue disposent d’un parc social important, ce qui n’est pas le cas des villes américaines. Et il reste des quartiers centraux et péricentraux, parfois vétustes, mais plus accessibles aux ménages modestes. Les mieux situés d’entre eux sont néanmoins en cours de gentrification, ce qui favorise la montée des prix.
Outre Paris, quelles sont les autres métropoles françaises ?
La deuxième est bien sûr Lyon, qui depuis vingt-cinq ans mène une politique offensive pour attirer les entreprises. Elle a su développer un marketing urbain très efficace pour redorer son image, car il y a encore quarante ans, c'était une ville qui, à tort ou à raison, avait la réputation d'être «grise et peu accueillante». Même si c'est plus récent, Bordeaux est aujourd'hui une métropole. On peut citer Nantes et Toulouse parmi les plus attractives. Aix-Marseille est dans une logique de métropolisation, mais elle a encore trop de problèmes de gouvernance locale. Les classes aisées ne s'installent pas dans le centre de Marseille mais en périphérie. La métropolisation entraîne un développement économique plus prononcé autour de Marseille (Pays d'Aix, Aubagne, pourtour de l'étang de Berre) qu'au cœur de la cité phocéenne. Il faut aussi compter avec Nice. Elle cumule les qualités de métropole (avec par exemple Sophia Antipolis) et de destination touristique. Lille est aussi entrée dans cette logique de métropolisation. Elle a du retard, car c'est un territoire qui s'est beaucoup désindustrialisé, mais qui depuis Pierre Mauroy [maire de la ville de 1973 à 2001, ndlr] bénéficie d'une bonne gouvernance et qui profite aujourd'hui de sa situation frontalière avec la Belgique. D'autres métropoles font preuve de dynamisme, comme Grenoble, Strasbourg, Montpellier ou Rennes. Les métropoles régionales françaises sont en concurrence entre elles et avec d'autres villes européennes comme Barcelone, Francfort ou Milan.
Des villes comme Saint-Etienne semblent complètement décrocher…
Pour Saint-Etienne, le phénomène de désindustrialisation a été violent. On pourrait la comparer à certaines villes américaines comme Detroit, les «shrinking cities», les villes en décroissance, toutes proportions gardées. Ces anciennes villes mono-industrielles rétrécissent, en population et en emplois. En France, ce phénomène concerne la plupart des villes moyennes du Nord et du Nord-Est ainsi que celles du couloir rhodanien. Heureusement, contrairement à Detroit qui a perdu 60 % de sa population en quarante ans, il existe encore en France des freins pour ralentir ce déclin : les politiques sociales, les politiques de la ville, ainsi que le financement d’équipements publics. La décroissance démographique accompagne le déclin économique, mais il se produit de manière continue sur plusieurs décennies.
Quel est le bilan de la décentralisation économique portée par les politiques d’aménagement du territoire dans les années 50-60 ? Assiste-t-on à une forme de recentralisation ?
La décentralisation économique gaulliste et pompidolienne était très dirigiste : les activités industrielles, de service, et culturelles étaient redistribuées dans les territoires au détriment de Paris. Cela faisait suite à la publication du fameux Paris et le désert français, du géographe Jean-François Gravier dans l’immédiat après-guerre. C’était à la fois une façon de moderniser la France, mais aussi de rééquilibrer les territoires. Cette politique d’aménagement très volontariste a fortement décliné après le premier choc pétrolier au début des années 70.
La métropolisation est-elle une nouvelle forme d’aménagement du territoire ?
Depuis les années 2000, la politique de l’Etat en direction des territoires vise à faire émerger des champions nationaux. Elle favorise donc les villes qui ont déjà des atouts. La priorité n’est plus tant d’équilibrer les territoires que d’encourager les villes qui sont déjà des locomotives en termes de développement économique. Il ne s’agit bien sûr plus de brider le développement de Paris, mais de soutenir la région-capitale dans sa concurrence avec Londres et les autres villes globales. Mais la métropolisation à l’échelle régionale permet à de plus en plus de cadres parisiens de poursuivre leur carrière à Nantes, Toulouse ou Bordeaux. Paris ne concentre plus tous les cadres supérieurs. Sur cet aspect, on ne peut plus parler de Paris et du désert français.
L’allongement des distances et l’augmentation du prix des déplacements sont-ils une des explications du mouvement des gilets jaunes ?
Incontestablement, la dépendance à l’automobile et les coûts de déplacement pénalisent les ménages modestes dans un contexte d’étalement urbain incessant. Mais on en sait encore trop peu sur les profils sociologiques des personnes qui participent à ce mouvement pour dire s’il est lié au phénomène de métropolisation. On a tendance à opposer la «France périphérique» à celle des métropoles, mais il faut rappeler que, selon les derniers chiffres de l’Insee, les centres des grandes villes et certaines communes de leur banlieue affichent les taux de pauvreté les plus élevés. La région parisienne est la plus congestionnée d’Europe, ce qui, ajouté aux prix du logement, souligne bien que les métropoles ne cumulent pas tous les avantages.
(1) Auteur avec Claire Juillard des Marchés immobiliers des métropoles françaises, Publi. not-éditions du notariat, 2012.