Avant d’être élu député LREM des Français d’Amérique du Nord et président de la commission des Affaires économiques de l’Assemblée, Roland Lescure était, dans les années 90, haut fonctionnaire au ministère de l’Economie et des Finances. Il a ensuite travaillé dans la gestion d’actifs puis est devenu, entre 2009 et 2017, le numéro 2 de la Caisse des dépôts et placement du Québec.
Selon vous, faut-il revoir les niveaux de rémunérations des hauts fonctionnaires français et des présidents d’autorité administrative ?
Oui. Mais revoir leurs niveaux doit aller de pair avec une révision des critères qui fondent ces rémunérations. Que ces personnes soient très bien rémunérées ne me pose pas de problème en soi, à condition qu’elles soient légitimes et qu’il soit possible de les évaluer en toute transparence et objectivité. Par exemple, je n’ai rien contre le fait que la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), Chantal Jouanno, touche plus de 14 000 euros par mois s’il s’agit de faire vivre et d’imaginer la démocratie participative de demain, tant que l’on sait combien la commission a mené de consultations, le nombre d’audiences, les recommandations qu’elle a pu rendre et ce qui en a été fait… En revanche, cela me pose problème si c’est un «fromage» qui sert à reclasser quelqu’un.
Qui déciderait, dans votre esprit, de ces critères ?
Tout dépend des administrations. On entend souvent dire que la France souffre de ne pas avoir, comme aux Etats-Unis, de spoils system. Mais si on remplace les copains du précédent président par ceux du nouveau, on n'avancera pas ! Les candidats à la tête d'une administration doivent présenter à leurs ministres de vrais projets de transformation. Que ces derniers puissent leur fixer des objectifs, des contrats et des indicateurs de performance clairs. C'est au gouvernement de choisir qui dirige telle administration ou telle autorité indépendante, mais en étant transparent sur les critères qui fondent ce choix et qui justifient les niveaux de rémunération.
Il faut donc mieux expliquer le travail de ces hauts fonctionnaires et de ces présidents d’administrations indépendantes…
Il faut surtout lier leur action à des contrats de transformation de l’administration. La crise que nous connaissons actuellement doit justement nous permettre d’organiser ces changements en profondeur. Par exemple, le directeur des finances publiques ne doit pas être évalué sur la bonne perception de l’impôt, ou la personne à la tête de la Haute Autorité de santé sur la couverture vaccinale du pays : ils doivent l’être sur leur capacité à transformer leur administration en y menant une action plus efficace et moins coûteuse.
Mais nos hauts fonctionnaires français sont-ils trop payés ?
Comme souvent, chez nous, l’argent est un tabou. Le débat est le même que nous avons eu avec Air France au moment du recrutement du directeur général, Ben Smith. Dans un secteur où une administration, comme une entreprise publique, est en concurrence avec le privé, je préfère payer plus cher quelqu’un qui soit un vrai professionnel. Mais à ces niveaux de rémunération, la performance doit être très élevée. D’où la nécessité d’être transparent sur les critères de sélection et de rémunération. Par ailleurs, pour des autorités de régulation (l’Arjel, par exemple), bien payer un dirigeant est nécessaire afin d’éviter tout risque d’influence ou de pressions financières des différents lobbys.
Le Parlement doit-il aller jusqu’à fixer le niveau de ces rémunérations ?
Selon moi, le rôle des députés et sénateurs est davantage de fixer, a priori, les critères de sélection et d’évaluation des directeurs d’administration et dirigeants d’autorités administratives et, a posteriori, de les évaluer. Si on fixe également les rémunérations, on risque d’avoir du mal à rester dans des discussions dépassionnées.