Le scoop de l'émission Capital sur M6 dimanche soir, sur la manière dont Amazon France détruit des stocks de produits neufs de vendeurs partenaires de sa place de marché, va-t-il accélérer la mise en place d'un encadrement plus strict de ces pratiques récurrentes ? Invitée sur le plateau de l'émission pour réagir au reportage du journaliste Guillaume Cahour, réalisé en caméra cachée dans un entrepôt de cette entreprise devenue récemment la plus chère au monde, la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Brune Poirson, «choquée» et «outrée», a promis qu'un projet de loi serait proposé dans les prochains mois. Son but ? Interdire aux distributeurs comme Amazon de jeter des produits neufs invendus.
Vendre le plus vite possible
Embauché en tant que manutentionnaire dans l’un des cinq entrepôts français d’Amazon, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), le journaliste a pu filmer des conteneurs d’objets de toute sorte destinés à être détruits : couches, machines à café, téléviseurs, jouets… Des produits fabriqués et expédiés le plus souvent depuis la Chine avant d’être stockés dans les immenses entrepôts d’Amazon, qui assure leur distribution pour le compte de légions de marchands partenaires. Citant des sources syndicales, le reportage fait état de 3,2 millions de produits qui seraient ainsi détruits chaque année rien qu’en France, dont 293 000 en neuf mois pour le seul entrepôt bourguignon de Chalon.
Le reportage explique très bien la logique économique implacable qui préside à cette destruction. Les produits détruits proviennent de vendeurs tiers qui, outre les commissions sur les ventes, paient à Amazon des frais de stockage sur place afin qu'ils puissent être acheminés rapidement aux clients. Il leur en coûte 26 euros/m3 au départ, puis 500 euros/m3 après six mois et 1 000 euros/m3 au-delà. Une tarification progressive qui incite à vendre le plus vite possible et donc à des prix bas, afin de favoriser la rotation des stocks, le tout au sein d'une offre pléthorique. Amazon se vante ainsi de proposer à la vente plusieurs centaines de millions de références, dont plus de deux millions livrables en un jour ouvré pour les 100 millions de personnes abonnées à son programme Prime.
Alors qu'une transaction sur deux sur son site provient de la place de marché, le coût de la marchandise invendue ne cesse ainsi de grimper avec le temps pour les partenaires qui préfèrent, et c'est parfaitement légal, ordonner sa destruction à un coût minime plutôt que la récupérer à l'autre bout du monde ou de continuer à payer pour son stockage. Un système dissuasif dont il est aisé pour Amazon de dire qu'il n'en est pas directement responsable, la décision de destruction revenant aux partenaires de la place de marché. «Le système Amazon amplifie la surproduction, puisque son principe est de proposer une offre pléthorique, analyse Guillaume Cahour, l'auteur du reportage interrogé par le Monde. Je ne dis pas qu'acheter ou vendre sur Amazon est mal. En revanche, vendeurs et acheteurs connaissent-ils les conditions ? Je pense que non. Ce reportage peut éveiller à une certaine forme de responsabilité.»
Rendre les places de marché juridiquement responsables
Pour la ministre, «les marketplace comme Amazon» doivent ainsi être jugées «responsables par défaut de la fin de vie des produits qu'elles commercialisent. Elles devront se débrouiller pour trouver des solutions». Une volonté mûrie, affirme-t-elle, qui ne doit rien à une annonce sous le coup de l'émotion, et sur lequel elle affirme que les pouvoirs publics travaillent depuis un an et demi dans le cadre d'une future loi sur l'économie circulaire afin de lutter contre le gaspillage et de changer les modes de production. Vaste programme, étant donné qu'à ce stade, la ministre n'est pas capable de dire comment elle compte s'y prendre afin de faire endosser de nouvelles responsabilités juridiques à des plateformes qui se présentent comme de simples partenaires logistiques, agissant en toute légalité.
Egalement présente en plateau dimanche, Alma Dufour, porte-parole de l'association les Amis de la Terre, qui avait la première alerté sur ces destructions de produits neufs à 80%, s'est réjouie de ces annonces : «Elles sont bienvenues à l'heure où le nombre de produits détruits pourrait passer à 6 millions en 2019 avec le doublement des surfaces de stockage de la multinationale dans l'Hexagone, si rien n'était fait.»
Régulièrement mis en cause pour ses pratiques, comme récemment la sous-traitance de ses livreurs dans Libération, Amazon a bien senti le danger que ces nouvelles révélations font peser sur son image. Sa filiale française a réagi dès lundi matin en relativisant l'importance de ces destructions et en renvoyant la balle dans le camp des pouvoirs publics. «Seulement une petite fraction des produits invendus est détruite, la grande majorité est recyclée, revendue, retournée ou donnée, affirme l'enseigne en ligne, qui explique dans un communiqué faire régulièrement des donations pour des associations comme Dons solidaires ou les Banques alimentaires. Mais le cas est différent pour les donations de «vendeurs tiers», reconnaît Amazon, pour lesquels «les réglementations en vigueur relatives à la TVA imposent que les vendeurs s'acquittent de la TVA sur les donations, ce qui n'est pas économiquement viable». D'où l'absence d'autre choix que celui de la destruction pour un petit nombre de produits, se justifie l'entreprise. Un sujet qu'Amazon affirme avoir porté à la connaissance des «autorités compétentes».
L'enquête sur Amazon aura permis à Capital de réaliser sa plus belle audience depuis six ans avec un peu plus de 4 millions de téléspectateurs devant leurs écrans, soit 17,4% de part d'audimat.