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Témoignages

Associations, maires, syndicat : alors ce débat, vous y allez ?

«Libération» a interrogé six acteurs de la société civile, censée être en première ligne pendant les deux mois de la consultation.
Lors de la réunion publique animée par le blogueur et militant Etienne Chouard, à Nice, samedi. (Photo Laurent Carré pour Libération)
publié le 14 janvier 2019 à 21h06

Maires, associations, syndicats… autant de forces vives à défaut d'être des «premiers de cordée» qu'Emmanuel Macron espère voir participer au grand débat qui s'ouvre ce mardi. De leur volonté de jouer le jeu dépend pour bonne part le succès de la consultation voulue par le chef de l'Etat pour tenter de sortir par le haut de la crise des gilets jaunes. Si certains acteurs ont décidé de monter dans le train, d'autres vont rester à quai, méfiants ou déçus d'avance. Libération a donné la parole à six représentants de ces corps intermédiaires si maltraités depuis le début du quinquennat, avec une question : «Alors ce débat, vous y allez ?»

Jean-Yves Mano

Président de la CLCV, association de défense des consommateurs et usagers

«Nos adhérents ne sont pas dans les gilets jaunes mais nous leur avons demandé dès décembre, dans une lettre, de s’engager dans ce grand débat s’il avait lieu. Comptez sur nous pour poser la question du pouvoir d’achat. Le gouvernement ne peut se contenter des 10 milliards d’euros votés fin 2018. Il doit aller plus loin, offrir des réponses, notamment pour résoudre les problèmes de logement. Nous avons aussi des propositions à formuler sur la réforme fiscale. La CLCV a été en pointe sur la taxe carbone en expliquant très tôt que ces hausses de taxe sur les carburants n’étaient pas supportables pour un grand nombre de Français et qu’elles avaient été mal expliquées. Enfin, sur la partie «expression citoyenne», il faut tirer le bilan de ce qui existe déjà, de ce qui est utilisé et de ce qui fonctionne… ou pas. Car il y a des contradictions entre le désir affiché de nombreuses personnes de vouloir prendre la parole et, quand ils peuvent le faire - à travers les conseils de quartiers, les élections de représentants de locataires ou les référendums locaux par exemple - le peu de monde qui participe.»

Mylène Jacquot

Secrétaire générale de la CFDT Fonction publique

«Tous les sujets ne relèvent pas du grand débat. Pour nous, quand on parle de fonction publique, on pense aux travailleurs, à la branche. Il faut faire attention à ne pas faire de confusion avec des discussions sur les politiques publiques qui dépassent les seuls agents publics. A titre personnel, vous n’avez pas forcément envie que tout le monde vienne mettre son grain de sel dans la relation avec votre employeur. C’est une nuance qui est prise en compte dans le grand débat, donc c’est plutôt positif pour nous. Pour le reste, on est sur la même ligne que notre confédération : on y participera, même s’il reste quelques questions autour du cadrage. Il appartient à chacun de saisir l’opportunité. L’apaisement ne se décrète pas, ça se construit. Ce qu’on attend plus particulièrement pour nous, c’est que le gouvernement donne des signes de sa capacité à entendre les propositions qu’on porte depuis des mois. Ça n’empêche pas les désaccords, mais le dialogue social est le lieu du constat et de l’analyse de ces désaccords pour pouvoir les dépasser.»

André Laignel

Vice-président PS de l’Association des maires de France

«Nous n’avons pas vocation à être organisateurs d’un débat voulu par le président de la République sans avoir jamais été associés à sa préparation. Une très large majorité de maires et de présidents d’intercommunalité ont le sentiment que ce grand débat est une manœuvre de diversion du gouvernement pour gagner du temps. Dans les réunions auxquelles j’ai pu participer ces dernières semaines, le terme "enfumage" revient très fréquemment. Ce n’est pas la lettre du Président qui va modifier ce sentiment : à la lire, on peut débattre de tout sauf du pouvoir d’achat ou des réformes déjà conduites. Il m’a pourtant semblé que les manifestations des gilets jaunes avaient pour objet de critiquer ce qui a été fait… Si les maires ne veulent pas engager leur responsabilité dans un débat sur lequel ils n’ont aucune maîtrise, ils ne veulent pas non plus l’empêcher. Si on leur en fait la demande, une majorité est prête à mettre des salles à disposition pour des réunions. Il appartiendra à chaque élu de décider s’il participe ou non au débat. Pour ma part, je n’en ai pas une envie folle.»

Jean-François Julliard

Directeur général de Greenpeace France

«Ce qui nous inquiète, au-delà de ce grand débat, c’est la place de l’écologie depuis qu’Emmanuel Macron a été élu. L’exécutif manque d’ambition, ce qui nous a amenés à annoncer fin 2018 vouloir déposer un recours juridique contre l’Etat, avec trois autres ONG, pour dénoncer son inaction climatique. Malgré les 2 millions de personnes qui ont soutenu l’idée de ce recours, nous n’avons eu aucune réponse, aucune réaction, de la part du Premier ministre ou du Président. Donc nous n’imaginons pas que ce grand débat change le fond des choses en matière de transition écologique, quelle que soit sa forme. Et la manière dont il est organisé… Des débats de ce type, il y en a déjà eu : le Grenelle de l’environnement sous Sarkozy, les conférences environnementales sous Hollande, les Etats généraux de l’alimentation sous Macron… Nous, les ONG, proposons des solutions concrètes depuis des années. Elles sont connues. Pourquoi un énième débat ?»

Vanik Berberian

Président de l’Association des maires ruraux

«Les intentions des maires ruraux sont variables. Certains vont organiser des débats, d’autres les faciliteront, d’autres ne feront rien. Chacun procède comme il l’entend. Ayant proposé dans ma commune un cahier de doléances, je n’organiserai pas de débat, mais si un habitant me le demande, je mettrai une salle à disposition. Mes collègues attendent d’en savoir plus, mais l’organisation n’est pas vraiment un problème : nous avons l’habitude de prévoir des manifestations et d’informer la population, notamment par la presse locale. Certains maires craignent d’être associés à un éventuel échec du débat ou refusent d’être considérés comme des "passeurs de plats". Compte tenu de la gravité de la situation, c’est dommage de se réfugier derrière de vieux réflexes. Personnellement, je ne fais pas de procès d’intention. Je trouve important que le débat ait lieu et que les maires jouent le jeu. La pire des choses serait de ne rien faire.»

Christophe Deltombe

Président de la Cimade, le Comité intermouvements auprès des évacués

«En tant que citoyens, nous participerons au débat, mais en tant qu'association, nous verrons s'il est fait appel aux corps intermédiaires. Le mouvement [des gilets jaunes] est un mouvement de gens qui ressentent des inégalités. Mettre dans le débat la question migratoire, c'est mettre face à des frustrations un thème qui est classiquement un exutoire aux crises. Attention au grand défouloir. La lettre du Président, je l'interprète comme une volonté que le Parlement propose des dispositifs pour améliorer l'intégration, ce qui est une bonne chose. D'autres l'interprètent comme une demande de quotas. Les réfugiés mis à part, il reste les familles, les travailleurs et les étudiants. Est-ce qu'on va quantifier les dispositifs qui tiennent à la vie familiale ? Ça serait contraire aux dispositions européennes. Quant aux travailleurs, les entreprises y font appel parce qu'elles en ont besoin, et les échanges universitaires participent au rayonnement de la France. Mettre des quotas pour des raisons politiques, voire idéologiques, serait idiot.»