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Libération
Récit

Alexandre Benalla et ses passeports, nouveaux tours de passe-passe

Affaire Benalladossier
Devant le Sénat, Patrick Strzoda a révélé mercredi que l’ex-conseiller de Macron avait utilisé une «vingtaine de fois» des documents diplomatiques et falsifié un courrier élyséen pour obtenir l’un d’entre eux.
Patrick Strzoda (à gauche), directeur de cabinet de Macron, et le sénateur Jean-Pierre Sueur à la commission d’enquête sénatoriale mercredi. (Photo Albert Facelly)
publié le 16 janvier 2019 à 21h06

Après son licenciement de l'Elysée pour faute grave, le 1er août, Alexandre Benalla a continué à utiliser son passeport diplomatique… une «vingtaine de fois» pour des séjours privés à l'étranger. Cette information ahurissante a été révélée mercredi par le directeur de cabinet du président de la République, Patrick Strzoda, lors de son audition devant la commission d'enquête sénatoriale sur l'affaire Benalla. Un chiffre qui soulève de nouvelles questions sur les activités réelles de l'ancien conseiller d'Emmanuel Macron et la façon dont il a pu usurper des titres officiels à des fins personnelles.

Inventaire

Le 28 décembre, après les révélations du Monde et de Mediapart sur l'utilisation d'un de ces passeports lors d'un déplacement au Tchad, le ministère des affaires étrangères a saisi la justice. Une enquête préliminaire a alors aussitôt été ouverte par le parquet de Paris pour «abus de confiance», «usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle» et «exercice d'une activité dans des conditions de nature à créer dans l'esprit du public une confusion avec l'exercice d'une fonction publique ou d'une activité réservée aux officiers publics ou ministériels».

Tout en disant veiller à ne pas «perturber» cette enquête judiciaire, Patrick Strzoda a répondu durant près de deux heures aux questions des sénateurs, mettant en lumière de nouvelles incohérences. Entendu le 19 septembre par cette même commission, Alexandre Benalla avait affirmé sous serment que ses passeports étaient restés dans son bureau à l'Elysée après son départ. Une information démentie par Strzoda qui, s'appuyant sur un inventaire effectué à la suite de la perquisition dudit bureau le 26 juillet, a assuré que «les passeports n'y étaient pas».

Le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron a précisé que trois demandes de passeport diplomatique avaient été effectuées pour le compte d'Alexandre Benalla, renouvellements compris. Les deux premières l'ont été de façon classique par le biais du service «protocole» de l'Elysée, qui a transmis ces requêtes au ministère des Affaires étrangères : un de ces documents, valable un an, a été émis le 2 juin 2017 ; l'autre, valable cinq ans, a été émis le 20 septembre 2017. Mais c'est la troisième demande de renouvellement qui suscite le plus d'interrogations. Datée du 23 mai 2018, juste après la suspension de deux semaines d'Alexandre Benalla après les violences du 1er mai, elle a été adressée directement par l'intéressé aux services du Quai d'Orsay, en dehors de la voie hiérarchique traditionnelle et alors même qu'il s'était vu retirer la gestion des voyages présidentiels à l'étranger. «Une initiative personnelle», a insisté Strzoda, qui a souligné le «comportement fautif d'un individu qui a peut-être profité des failles du système». «Nous n'avions pas été informés que M. Benalla avait été suspendu de ses fonctions», s'est justifié à son tour le ministre des affaires étrangères, Le Drian, tout en précisant avoir informé immédiatement l'Elysée de cette demande.

«Falsification»

Mais il y a encore plus grave. En dehors de ses passeports diplomatiques, l'ancien conseiller de Macron s'est vu remettre deux passeports de service. Si le premier, délivré en 2016 alors qu'il était en poste à la délégation interministérielle à l'égalité des chances, ne semble pas poser de problème particulier, le second interpelle à plusieurs titres. Délivré le 28 juin, ce document a été obtenu grâce à un «faux», selon Strzoda. Après avoir lui-même sollicité ce document auprès du ministère de l'Intérieur (qui gère les passeports de service), Alexandre Benalla s'est vu répondre qu'une telle requête devait impérativement passer par la voie hiérarchique. C'est alors que l'ancien garde du corps a adressé Place Beauvau une note manuscrite et non signée à en-tête de l'Elysée, laissant croire qu'elle avait été validée en haut lieu par le chef de cabinet. «Ce document est un faux», a répété Patrick Strzoda. Une «falsification» qui a finalement conduit l'Elysée à saisir la justice ces tout derniers jours.

Quelles diligences ont été déployées par l'Elysée et les différents ministères concernés pour obtenir la restitution de ces différents passeports ? Dès le 26 juillet, le ministère des Affaires étrangères a écrit à Benalla pour lui demander de restituer ses deux passeports. En vain. Deux autres courriers sont aussi restés lettre morte, avant qu'une procédure d'invalidation soit lancée, une première, selon Jean-Yves Le Drian. Les différents services ont alors été informés et des instructions transmises à toutes les ambassades afin de rappeler que la France ne pratiquait pas de «diplomatie parallèle». Désormais résident londonien, Alexandre Benalla doit être entendu lundi par la commission d'enquête sur ces nouvelles révélations.