De l’art de susciter le désir. Nommé depuis la fin du mois d’août, le nouveau patron opérationnel d’Air France-KLM n’avait jusqu’à présent fait aucune apparition publique. C’est chose faite depuis ce mercredi matin et sa prise de parole devant la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat. Un auditoire pas vraiment choisi au hasard. Air France souhaite obtenir un certain nombre de faveurs des pouvoirs publics en matière de taxes et de charges sociales.
Coupe en brosse impeccable et costume bleu marine sans le moindre faux pli, le nouveau boss, ex-numéro 2 d'Air Canada et anglophone a choisi de faire son introduction en français, presque sans accent, mais en lisant son texte d'une manière plutôt scolaire. Hasard ou coïncidence, il bute souvent sur le mot «négociation». Benjamin Smith ne s'est néanmoins pas privé de rappeler les accords sociaux signés avec les personnels qui ont permis de mettre fin à un mouvement de grève qui, en 2018, a coûté 350 millions d'euros à Air France. Toutefois les pilotes n'ont pas encore dit leur dernier mot, ils réclament une rallonge de 5% sur leur feuille de paie et les discussions sont toujours en cours.
«Les passagers doivent être mieux traités en cas de grève»
Pour l'avenir, Benjamin Smith entend bien viser les «clients premium» – en clair ceux qui voyagent souvent – pour des motifs professionnels et paient le prix fort. Il leur promet donc une véritable «expérience voyage». Néanmoins pour tenir sa feuille de route, Benjamin Smith n'a pas hésité à sortir son cahier de doléances : «Le niveau de cotisations sociales en France et l'absence de plafonnement entraînent un écart concurrentiel de 500 millions d'euros. La sûreté est à la charge des compagnies aériennes. Les passagers doivent être mieux traités en cas de grève.» Sans compter les traditionnels ennemis d'Air France que le nouveau dirigeant ne s'est pas privé de dézinguer : «Il faut instituer une concurrence plus équilibrée avec les compagnies du golfe persique (Emirates, Qatar Airways, Etihad) et les low cost (EasyJet ou Ryanair).»
Face aux sénateurs, Benjamin Smith est plus à l'aise en anglais pour répondre aux questions et préciser sans prendre de gants que Joon, la filiale d'Air France créée il y a seulement un an, pour séduire la clientèle low cost, va cesser son activité : «Elle a mis en péril la confiance entre nous et nos clients.» Son prédécesseur, Jean-Marc Janaillac, à l'origine de cette initiative, appréciera. Dans cette intervention, Aéroports de Paris, bientôt privatisé, en prend pour son grade : «Ça prend trente à quarante minutes pour effectuer le parcours en correspondance à Roissy, nous n'avons pas ce problème à Schiphol (l'aéroport d'Amsterdam) qui est beaucoup plus fluide pour les passagers», balance celui qui pilote à la fois Air France et sa petite sœur hollandaise KLM. Une manière à peine voilée de laisser entendre que faute d'amélioration du service à Paris, il pourrait faire décoller et atterrir plus d'avions à Amsterdam.
4,25 millions d’euros par an
Plus prudent sur les événements sociaux qui ont lieu en France, Benjamin Smith reconnaît un impact sur le remplissage des avions, mais se refuse à le chiffrer avant la publication des résultats du premier trimestre. Il ne faudrait pas, en plus, bousculer le cours de l’action Air France-KLM, qui se traîne en dessous de dix euros. Les sénateurs, bien qu’attentifs n’ont cependant pas voulu être taquins. Ils n’ont pas fait la moindre allusion à son salaire annuel, 4,25 millions d’euros (fixe plus variable) trois fois et demi supérieur à celui de son prédécesseur à ce poste.