Elle aurait préféré qu'on lui «pose simplement des questions» plutôt que de devoir raconter elle-même cette nuit du 22 avril 2014, ces quelques heures d'ivresse devenues «un cauchemar», selon ses mots prononcés devant la cour d'assises de Paris. Longue silhouette tout de noir vêtue, Emily S., 39 ans, s'accroche à la barre et tente de «revenir sur l'ensemble des détails», comme le lui a demandé le président. «C'était il y a quatre ans et demi, j'ai rencontré des policiers dans un bar», commence-t-elle. Les deux anciens membres de la prestigieuse BRI, Antoine Q. et Nicolas R., qui clament leur innocence, sont assis à quelques mètres. Immobiles, ils fixent droit devant eux tandis que celle qui était une touriste canadienne à Paris narre leur rencontre au zinc du pub irlandais Le Galway.
Plus elle avance dans son récit jusqu'à l'arrivée au 36, quai des Orfèvres, plus ses mots, restitués par la voix calme et douce de l'interprète, sont saccadés. Elle livre une série de «je me rappelle» entrecoupés de sanglots. Elle se rappelle, dit-elle, l'escalier du «36», le troisième bureau, le numéro 461 et la porte qui se referme. Elle se rappelle le verre de whisky qu'on la force à boire puis la sensation de ses genoux qui plient sous elle. Elle se rappelle la violence avec laquelle l'un des hommes l'a contrainte à une fellation. Elle se rappelle aussi la suite, les viols : «On m'a relevée, on m'a poussée sur une table, on a retiré mes sous-vêtements. […] Je me rappelle que j'ai vu des étoiles, des vraies étoiles. […] Après, j'ai ramassé mes affaires et j'ai essayé de partir, mais on m'a tirée vers un autre bureau. J'ai abandonné, je voulais juste que ce soit fini.» Lorsqu'elle parvient à partir, elle s'effondre à l'entrée et lâche aux gardes : «J'ai été violée.» De leur côté, les accusés reconnaissent seulement une fellation consentie pour l'un et des caresses sexuelles réciproques dans la voiture pour l'autre.
«Qu'est ce que vous attendez de la justice ?» demande l'avocat général. Emily S. énonce : «J'ai laissé partir ma colère. Je veux juste me tenir debout et affronter publiquement ces hommes. Ensuite, je voudrais aller de l'avant, refermer ce chapitre.»