La volée de bois vert a viré à l'opération commando. Sitôt paru l'article du Parisien annonçant, la semaine dernière, que le gouvernement réfléchirait à l'idée de rogner les allocations des familles d'élèves violents, le député LREM Aurélien Taché avise un petit groupe de ses camarades parlementaires. Comment contrer illico cette idée qui va figurer dans un rapport sur la lutte contre les violences scolaires et que n'a pas écartée le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer ? Cette poignée de députés s'interroge sur un communiqué commun pour mettre en garde contre une telle proposition et décide finalement de tweeter leur désapprobation de concert.
Aurélien Taché, Guillaume Chiche, Hugues Renson et Matthieu Orphelin sortent du bois ainsi que Stella Dupont, Jacques Maire et Emilie Cariou. Avant que la riposte, toujours sur Twitter, ne s'étende à d'autres marcheurs, habituellement plus discrets ou pas forcément classés à gauche du groupe majoritaire à l'Assemblée nationale. «Cette façon de sortir de manière coordonnée marque un tournant, veut croire l'un de ces députés LREM. On veut s'assumer, arrêter de s'autocensurer.»
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La petite bande échange depuis le début du mois de décembre dans une boucle dédiée sur l'application Telegram. Au départ, il s'agissait d'imaginer des «propositions politiques pour une sortie de crise» au plus fort de la contestation des gilets jaunes. Huit députés, notamment Cédric Villani, ont transmis cette note au Premier ministre. La discussion s'est poursuivie ensuite et élargie. Et quand il a fallu donner un nom à ce fil sur la messagerie cryptée, ils ont repris la formule de «Bisounours» qu'un de leurs détracteurs distillait en off dans un article, moquant la prétendue candeur de certains d'entre eux, qui ne se résolvaient pas à l'idée de voir figurer l'immigration au menu du grand débat.
«Constituer un noyau dur»
Le sobriquet est resté, anecdotique et informel, qui marque aussi leurs réticences à s'estampiller trop officiellement. De même, ils ne tiennent pas de «réunion-bisounours» en bonne et due forme et au complet. Tout jeune, le cercle se veut fluctuant, selon les chevaux de bataille à enfourcher. Pas question, assure Chiche, de passer pour «une avant-garde ou le clan des éclairés». «Attention à la tentation groupusculaire, prévient Taché. Le but n'est pas de devenir une sous-chapelle mais de constituer un noyau dur, une "task force".» Certains de leurs collègues, pourtant d'accord avec eux sur le fond, ne goûtent guère cet activisme. «Je me méfie énormément de ce qui peut fracturer la majorité, fait valoir Eric Alauzet. Laissons prospérer et vivre le débat. Voyons d'abord ce qui peut émerger d'un consensus avant de rentrer dans des logiques de rapport de forces.»
Depuis 2017, quelques initiatives ont été lancées, autour de Brigitte Bourguignon et de son «pôle social», ou regroupant de jeunes députés politiquement expérimentés. Des tentatives qui ont fait long feu au sein d'un groupe qui craint plus que tout la fracturation façon «frondeurs» qui a déchiré le groupe socialiste sous la précédente législature, et le retour d'un clivage droite-gauche. La petite bande, elle, se voit «une vocation majoritaire». «Deux tiers des députés du groupe ont été élus sur une base de gauche-centre gauche», rappelle Chiche. Un de ses camarades ajoute : «Qu'on nous colle, aux uns et aux autres, des étiquettes de "sociaux", "progressistes", "écolos" est caricatural. En réalité, tous ceux-là poussent dans le même sens.» Un autre : «Le groupe a été pris en otage par une minorité de droite.»
«Remorque»
Ces députés voient dans l'épisode des gilets jaunes un nouveau signal de la nécessité de muscler la réponse du gouvernement face à la forte demande de justice sociale. De nombreux élus LREM s'agacent d'avoir alerté dans le vide sur l'incompréhension des réformes menées tambour battant ou sur le sentiment d'éloignement de certains territoires. Ils sont aussi critiques de la direction du groupe, présidé par Gilles Le Gendre, trop effacée face à l'exécutif à leurs yeux et qui peine à faire vivre une discussion interne permettant de trancher des positions. «Gilles n'organise pas de débats dans le groupe, donc les lignes se construisent dans l'hémicycle, explique un député. Si le groupe n'a pas de poids politique, on le prend ailleurs.»
Vice-présidente du groupe, Amélie de Montchalin riposte : «Il faut arrêter de dépeindre le groupe comme s'il était à la remorque du gouvernement [à l'exception de] quelques francs-tireurs qui obtiendraient des victoires ou des reculs. Les choses se jouent collectivement avec les instances du groupe. On ne répond pas à l'urgence sociale en donnant des brevets de gauche.» Elle en veut pour preuve «l'agenda social» sur lequel elle planche avec Brigitte Bourguignon pour rendre automatiques les aides sociales et avancer sur le sujet de la dépendance. Ces «francs-tireurs» ne se privent pas de faire leurs propres propositions dans le domaine de la justice sociale et fiscale. «On peut réfléchir à plus de progressivité, avec de nouvelles tranches dans le bas du barème de l'impôt sur le revenu», imagine Emilie Cariou, qui souhaite aussi «plafonner» certaines niches fiscales. D'autres évoquent la création d'une nouvelle tranche supérieure pour les plus riches ayant profité de la transformation de l'ISF. «Voyons d'abord ce qui sort du débat !» répond-on dans l'entourage du ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin.
Fiscalité, lutte contre la fraude, immigration-intégration, environnement, minima sociaux : dans ce groupe qui ne veut pas en être un, chacun avance sur son domaine de compétence. Ils vont par exemple militer pour la fin de l'unanimité européenne sur les questions fiscales ou la baisse du taux de TVA sur les produits de première nécessité. Ils sont aussi prêts à pousser leurs propositions sur l'intégration des immigrés. Auteur en 2018 d'un rapport sur le sujet, Taché se montre ainsi «opposé à tous les quotas en matière d'asile ou d'immigration familiale» mais reste ouvert pour ce qui est de l'«immigration économique», dit-il. D'autres de ses camarades se méfient de ce sujet porté lors de la présidentielle par la droite et l'extrême droite. L'un d'eux résume l'hiatus froidement : «J'ai suivi Macron, pas Fillon.»