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Libération
Récit

L'affaire des bébés sans bras relancée par trois nouveaux cas autour de l'étang de Berre

En 2016, dans un espace géographique restreint de 30 kilomètres autour de Vitrolles, trois bébés sont nés sans bras. La pollution, liée à la forte activité industrielle, est pointée comme une cause éventuelle de ces malformations.
Des marais salants et une raffinerie pétrochimique, sur la rive de l'étang de Berre, en 2015. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA. AFP)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 21 janvier 2019 à 19h10
(mis à jour le 21 janvier 2019 à 19h12)

Et maintenant, le pourtour de l'étang de Berre. Après l'Ain, le Morbihan et la Loire-Atlantique, c'est dans les Bouches-du-Rhône que l'affaire dite des «bébés sans bras» a rebondi ce lundi. Selon les informations du Parisien, trois nouveaux cas d'«agénésie des membres supérieurs» ont été recensés dans un rayon de 30 kilomètres autour de Vitrolles. Il s'agit de trois petites filles nées en juin, août et novembre 2016 dans des communes voisines du pourtour de l'étang de Berre, une zone connue pour son importante pollution liée à l'importante activité industrielle.

La concentration de ces cas, rapprochés dans le temps et sur une zone réduite, est statistiquement supérieure à ce que l'on devrait enregistrer en fonction des données scientifiques, comme le souligne dans le Parisien Emmanuelle Amar, la directrice du Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera) : «La science estime qu'une ATMS se produit lors d'une naissance sur 10 000. Il y a 27 000 naissances par an dans les Bouches-du-Rhône, donc avec trois agénésies par an, on est déjà au-dessus du nombre total attendu. Mais, en plus, là, elles se produisent dans un rayon de 30 km. C'est une affaire très sérieuse», relève l'épidémiologiste, qui fut la première à alerter les autorités sur les cas de bébés sans bras dans l'Ain, en 2011.

Contactée par Libération, elle précise toutefois que pour l'heure, «on ne peut pas statuer sur l'existence d'un nouveau cluster [des phénomènes concentrés dans le temps et l'espace, ndlr] car nous ne disposons pas des données de malformations sur ce département. La cause environnementale est probable mais toujours inconnue.»

«Cartographie»

D’ores et déjà, la révélation de ces trois nouveaux cas a eu pour effet de relancer la polémique, alors que les autorités sanitaires doivent rendre publiques, ces prochains jours, les conclusions de leur enquête nationale sur le sujet. Car pour la quinzaine de cas déjà recensés dans d’autres départements français, les causes communes expliquant ces malformations restent toujours inexpliquées. Première étape indispensable pour les professionnels de la santé, la mise en place sans délai d’un recensement national, afin d’établir de potentiels liens entre les malformations constatées et d’éventuels facteurs exogènes, environnementaux ou non.

Dans l'Ain, le rapport établi par le Remera établissait déjà qu'après étude des cas enregistrés, «des hypothèses environnementales (produit de l'agriculture? vétérinaire?) semblent se dessiner mais elles sont à l'état d'ébauche». Dans les cas du pourtour de l'étang de Berre, zone régulièrement pointée pour ses pollutions multiples, là encore le facteur environnemental apparaît comme une piste méritant d'être creusée. «Effectivement, on est interpellés par le nombre de cas et le fait que ces trois naissances sont situées sur le pourtour de l'étang de Berre et dans un temps très court, note Annie Lévy-Mozziconacci, médecin-généticienne au centre de médecine prénatale de l'Hôpital nord, à Marseille, également conseillère municipale PS de la ville. Mais ce qu'il nous faudrait, c'est avoir l'ensemble des cas sur un territoire. Et c'est là où on est bloqué : cette cartographie, on ne l'a pas.»

Plancher

Dès début décembre, la généticienne marseillaise avait organisé une journée de débat réunissant médecins et scientifiques, responsables associatifs et élus pour plancher sur le sujet. Ces rencontres ont engendré un appel «pour un registre des cancers et des maladies congénitales sur le territoire français», publié ce dimanche. «Ces outils sont indispensables dans le dispositif de surveillance de l'état de santé en France car les seuls en mesure d'identifier d'éventuels clusters autour de points noirs environnementaux», souligne leur texte, qui relève que cette demande «s'inscrit totalement dans les recommandations du Plan National Santé-Environnement (PNSE) 2015-2019» et dans celui à venir, actuellement en discussion. «Ce n'est pas de rétrospectif dont on a besoin, même s'il faut que les cas déjà recensés soient étudiés. Il nous faut du prospectif, insiste Annie Lévy-Mozziconacci. On ne va pas attendre trente ans, comme pour l'amiante, pour que ça arrive devant les tribunaux.»

Pour Emmanuelle Amar et le Remera, également signataire de l'appel, le message est le même : «Il est urgent d'agir !». Pour l'heure, à défaut de registre de surveillance des anomalies congénitales dans les Bouches-du-Rhône, la cellule de l'Institut de veille sanitaire (Cire) Paca va traiter le dossier. Selon le Parisien, les données concernant les trois cas marseillais ont été transmises à Santé Publique France pour investigations. Du côté du ministère, précise le quotidien, on assure «suivre de près» l'affaire.