Entre le macronisme et les gilets jaunes, difficile de choisir pour Cyril Hanouna. A n’en pas douter, le patron millionnaire d’une des plus grosses sociétés de production audiovisuelle du pays n’est pas insensible à l’esprit d’entreprise du jeune chef de l’Etat. Mais l’animateur d’émissions de divertissement hyperpopulaires sait trop bien que son public de «fanzouzes» énamourés rejoint, depuis plus de deux mois, la France des ronds-points en colère.
Dans une improbable tentative de médiation entre les deux camps irréconciliables, l'histrion de la chaîne C8 fera de son hebdomadaire Balance ton post !, ce vendredi à 22 h 10, un «spécial grand débat national». Avec la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, en coanimatrice, comme le précisait le communiqué de presse envoyé en début de semaine pour annoncer l'événement.
Roitelet
Le discours officiel a été corrigé depuis, pour amoindrir le rôle de la ministre : si celle-ci est à l'origine de l'émission, elle s'en tiendra, précise son entourage, au rôle de «courroie de transmission» vis-à-vis du public. Le concept : des Français sélectionnés par l'équipe de Hanouna proposeront des idées pour le pays ; les téléspectateurs voteront pour sept d'entre elles, que Marlène Schiappa promet d'aller porter à l'Elysée.
Casque bleu médiatique d'un pays déchiré, Cyril Hanouna, qui a flairé le coup à même de faire grimper les audiences, a justifié ainsi cette initiative d'organisation du dialogue citoyen : «On doit être tous unis, tous ensemble, tous soudés. […] Je me mets au service des Français, des gilets jaunes, du peuple, de tout le monde.»
Le roitelet du groupe Canal + est tiraillé. Il a été l'un des premiers à donner longuement la parole aux gilets jaunes. Dès le 20 novembre dans Touche pas à mon poste (TPMP), il en recevait plusieurs sur son plateau, dont Maxime Nicolle, alias «Fly Rider». L'homme avait pris toute la lumière ce soir-là, au point de devenir l'un des leaders du mouvement. Dans la même émission, Cyril Hanouna avait assuré, en parlant d'un Eric Drouet que personne ne connaissait encore : «Eric, il est super.» C'est à se demander si TPMP n'a pas été la rampe de lancement télévisuelle des gilets jaunes.
L'animateur, bien plus intelligent que ses programmes peuvent le laisser penser, en a-t-il pris conscience ? C'est bien possible, et c'est sûrement embêtant pour la vedette qui n'a jamais caché son affection pour Emmanuel Macron. «Je m'entends bien avec lui, il m'a dit qu'il regardait TPMP. J'aime le côté fonceur qui casse les codes, il a tout explosé», disait Hanouna dans le Monde en juillet 2017. Entre le chef de l'Etat et lui, la «darka» (terme positif pouvant se traduire par «bonne ambiance») a débuté le 27 avril de la même année, pendant l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle. L'animateur attrape en direct le candidat marcheur à la sortie de TF1 et lui donne le micro en disant «espérer» que le 7 mai, date du second tour, soit une «belle échéance». Ravi, Macron se tourne alors vers la caméra et appelle les téléspectateurs à aller voter, de préférence pour lui. La bromance connaît un nouvel épisode en décembre 2017, lorsque Cyril Hanouna appelle en direct «le Président» pour lui souhaiter son anniversaire. Un coup de com évidemment monté en amont. «La jeunesse vous suit et vous regarde», avait alors indiqué Emmanuel Macron dans un drôle d'aveu de la fonction messagère de son hôte.
Le même argument est à présent repris par Marlène Schiappa pour justifier sa participation à Balance ton post ! ce vendredi. «Il y a beaucoup de gens qui regardent l'émission de Cyril Hanouna. Il faut les considérer aussi et les faire participer à ce grand débat», a-t-elle jugé mardi.
Ambitieuse
Selon son entourage, l'initiative bénéficierait du «soutien absolu» du Président. Mais pas de celui des nombreux détracteurs de l'élue du Mans, qui voient dans l'exercice un curieux mélange des genres et dans l'animateur, aussi connu pour ses canulars versant dans l'homophobie ou le harcèlement, un parrain discutable pour le grand débat national. C'est d'ailleurs l'une de ces farces qui avait, en 2017, ouvert le canal entre Hanouna et la secrétaire d'Etat. A une séance de réprimandes dans les locaux de la seconde ont succédé, assure un proche, de nombreux échanges cordiaux.
On imagine volontiers les deux personnalités, au fil des discussions, s’accorder au moins sur ce vieux principe : il n’est pas de mauvaise publicité, ni pour le grand débat, ni pour l’animateur, ni pour la secrétaire d’Etat. Réputée fort ambitieuse, l’élue est l’un des rares nouveaux visages du gouvernement à échapper à l’anonymat. En quête d’espace politique, elle n’a pourtant pas obtenu, lors du dernier remaniement, le grand ministère social dont elle était demandeuse. La secrétaire d’Etat, qui est devenue jeudi l’une des responsables du pôle «Idées» de LREM, explore d’autres voies, dont celle d’une communication créative - et parfois controversée. Après tout, comme le résume un journaliste animateur du groupe Canal + : «Toutes les opportunités sont bonnes et utiles, et l’audience est prioritaire.»