L'incendie de l'Isba, ancien hôtel de la station huppée de Courchevel (vallée de la Tarentaise, Savoie) utilisé pour le logement des travailleurs saisonniers, serait volontaire. Anne Gaches, procureure de la République d'Albertville, a déclaré vendredi soir que «la piste criminelle, à savoir un départ de feu volontaire», était «sérieusement envisagée». Survenu dimanche dernier à 4 h 20 du matin, le feu a surpris dans leur sommeil de nombreux saisonniers : deux sont morts, et dix-sept blessés, dont quatre grièvement, étaient toujours hospitalisés vendredi. La procureure a précisé que le feu «a pris au second étage du bâtiment et s'est propagé au troisième».
«Asphyxie»
C'est à cet étage que les corps des deux victimes ont été retrouvés : une femme de 32 ans originaire de Mayotte et un homme de 50 ans de Roubaix. Tous deux travaillaient dans des hôtels-restaurants de la station. Les autopsies ont établi qu'ils étaient «morts par asphyxie», a précisé Anne Gaches. Les blessés, parmi lesquels de nombreux étrangers (Colombiens, Polonais, Italiens, Belges…) souffrent de polytraumatismes et de fractures après avoir sauté dans le vide pour échapper aux flammes.
Les gendarmes de la section de recherche de Chambéry et du groupement de Savoie ont procédé à quelque 90 auditions de victimes et témoins. La procureure a confirmé que ces derniers ont senti «une odeur d'essence» juste avant l'incendie, odeur déjà décelée «un mois auparavant» dans l'hôtel. Les constatations des experts en incendie de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) ont permis d'établir que l'utilisation «d'un produit accélérant la combustion» était «probable». La piste accidentelle d'une défaillance technique du bâtiment semble donc écartée, mais la procureure est restée très prudente : «Nous n'avons pas d'éléments tangibles permettant d'identifier un ou des auteurs éventuels auteur de l'incendie». Elle a confirmé que de «nombreuses altercations ont eu lieu dans l'hôtel les semaines précédentes, mais sans lien formel avec l'incendie». Une source proche du dossier avait évoqué une dispute entre deux hommes peu avant le drame. L'un des deux aurait menacé de revenir dans l'ancien hôtel pour «tout cramer». Anne Gaches n'a pas confirmé.
L'incendie, spectaculaire selon les témoins, a mobilisé plus de 130 sapeurs-pompiers. «Le feu s'est propagé de manière extrêmement rapide, ce qui a amené un certain nombre d'occupants à réagir en urgence et notamment à sauter par les fenêtres pour sauver leur vie», a déclaré le sous-préfet d'Albertville, Frédéric Loiseau.
Ambre, saisonnière de 24 ans et cavalière semi-professionnelle, a sauté du troisième étage pour échapper aux flammes et s'est grièvement blessée. La jeune femme pourrait rester paralysée. A ses parents, elle déclare qu'elle n'a «pas eu le choix» car «les portes étaient fermées», rapporte France Bleu Savoie. Depuis dimanche, ceux-ci demandent des réponses et recueillent les témoignages de saisonniers passés par ce bâtiment.
D'anciens employés du propriétaire du bâtiment des années 70, comme Cyrielle, interviewée par France 3 Auvergne, pointent les conditions de logement «horribles» des saisonniers dans l'ancien hôtel : «On ne pouvait pas passer à deux dans les couloirs, qui étaient très étroits.» Un autre témoin, cité par le Dauphiné Libéré: «Heureusement que l'on a été réveillés car il n'y a pas eu d'alarme incendie. Des personnes ont tenté d'utiliser les extincteurs mais ils ne fonctionnaient pas. Il faut savoir aussi qu'il n'y avait pas de détecteur de fumée dans les chambres ni dans les couloirs.»
Cagnotte
Face aux interrogations des habitants, le sous-préfet d'Albertville avait déclaré que le dernier contrôle de la bâtisse «devait certainement dater». Propriété du groupe immobilier Maison Tournier, qui possède de nombreux bars et restaurants à Courchevel, Chambéry mais aussi à Saint-Tropez, le vieil hôtel devait faire l'objet de travaux de réhabilitation au printemps. Les sinistrés ont tous été relogés et la solidarité s'est vite mise en place dans la station. Au restaurant Chez Gaston, autre propriété du groupe Maison Tournier, des dizaines de sacs de vêtements et de nourriture ont été déposés par les habitants venus des villes alentour.
Une cagnotte a été lancée pour les saisonniers victimes de l'incendie. Le parquet d'Albertville a, lui, ouvert une information judiciaire, pour «destruction par incendie ayant entraîné la mort». L'instruction devra établir, a précisé la procureure Anne Gaches, qui sont «le ou les auteurs de l'incendie» et «devra déterminer si les conditions de sécurité de l'hôtel répondaient aux normes réglementaires en vigueur».