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Libération
Interview

Impôt à la source : Témoignages

publié le 25 janvier 2019 à 19h16

Jean-Paul Mérot, retraité, Oise, 69 ans «Pour moi, ça ne change presque rien»

«Pour une fois, je ne suis pas un retraité râleur. Je n'ai pas eu de mauvaise surprise sur mon relevé de pension de janvier. J'avais déjà fait mes calculs, ça colle plutôt bien. Jusqu'à présent, j'étais mensualisé sur dix mois. Pour moi, le prélèvement à la source ne change presque rien. La seule différence, c'est que, maintenant, mes impôts sont étalés sur douze mois. Je n'ai donc plus la petite respiration des mois de novembre et décembre, où je n'avais généralement rien à payer. Ça donnait un peu plus de marge financière, surtout autour de Noël, pour faire quelques cadeaux aux petits-enfants. Mais là, je pinaille… La réforme a aussi un peu modifié le calendrier de mon budget mensuel. Avant, le prélèvement des impôts tombait le 15 du mois. Là, avec le prélèvement à la source, je paye lorsque je perçois mes retraites. Mais celle de base est versée le 10 du mois et la complémentaire le 1er. Donc ce n'est pas un grand bouleversement. Mais cela vaut pour ma situation. J'ai travaillé dans la banque et j'ai gardé l'habitude de bien planifier mes dépenses. Surtout, j'ai une pension très correcte. Pour des ménages plus modestes, ces quelques jours de décalage peuvent être difficiles à gérer pour payer certaines factures. Ça reste toutefois une bonne réforme, ça simplifie. Mais ça n'a pas fait remonter mon estime pour le chef de l'Etat. Il y a quelques mois, j'ai manifesté avec les retraités et aujourd'hui, je râle toujours sur les pensions qui n'ont pas été réévaluées et sur la CSG que je continue de payer.»

Sarah Korsias-Martin, DRH de Warner Music France, 37 ans, Paris «ça donne plus de visibilité»

«Cela a été un vrai changement pour nos collaborateurs de comprendre ce qui les attendait. On a d’abord voulu s’en charger mais, assez vite, on s’est rendu compte que le formateur que l’on avait pris pour le service RH s’en chargerait bien mieux que nous. Il est intervenu en août, a fait des sessions de questions-réponses et des réunions. Tout cela a été filmé, ce qui a permis aux salariés absents de s’informer. Nous avons aussi simulé sur la paie de décembre ce qu’ils auraient eu si on avait appliqué le prélèvement à la source.

«Nous ne sommes que trois à la DRH pour un effectif de 200 collaborateurs, et chez nous la paie est externalisée. Je sais qu’il a fallu récupérer les taux d’imposition et les rentrer pour chaque salarié. Personne ici ne s’est plaint du supplément de travail que cela a pu représenter et du stress éventuel pour les salariés, on a pris ça positivement, comme une énième évolution législative à laquelle il a fallu s’adapter.

«En tant que salariée et professionnelle des ressources humaines, je trouve le prélèvement mensuel plutôt intéressant, ça donne plus de visibilité et c’est mieux que la mensualisation qui se faisait sur dix mois, au lieu de douze à partir de maintenant. Les gens doivent s’informer, cela les met dans une démarche active, c’est ce que l’on fait chez nous et ça s’est très bien passé. Maintenant, on le sait, quand ils vont découvrir leur paie de janvier, beaucoup de salariés vont venir nous voir, il faudra à nouveau les informer.»

Géraldine Ferteux, gérante d’un salon de coiffure, Indre-et-Loire, 57 ans «Un coût nouveau et des formalités en plus»

«Le passage au prélèvement à la source, c’est mon comptable qui s’en est occupé. On va voir ce que ça donne à la fin du mois, mais c’est déjà un coût supplémentaire de 53 euros par salariée et par fiche de paie, ce qui représente, à la fin de l’année, un surcoût d’environ 6 000 euros. Je n’aurais pas de problème pour absorber la somme, mais c’est toujours ça de moins que j’aurais pu mettre dans de la publicité, l’achat de produits, ou dans une prime pour mes salariées… Je note aussi que c’est moi qui ai dû les informer de ce changement lors d’une réunion organisée en décembre. Elles en avaient un peu entendu parler à la télévision mais il va falloir leur expliquer pourquoi leur salaire sera plus faible. C’est bien que des réformes soient faites pour améliorer le quotidien de nos employés. Mais pourquoi cela a-t-il toujours comme conséquence pour les entreprises de créer un coût nouveau et des formalités en plus à remplir ?

«Par ailleurs, ça me gêne de devoir garder cet argent avant de le reverser au Trésor public. Cela crée une distorsion de trésorerie, un stress supplémentaire, et des petites structures peuvent être tentées de dépenser cet argent avant les versements. J'aurais préféré que ce prélèvement se fasse directement sur le compte de mes salariées. Et je comprendrais que, pour elles, ce soit gênant que les employeurs puissent connaître leur vrai niveau de revenus [même s'il existe une disposition, le taux neutre, pour préserver la confidentialité, ndlr]

Anthony R., sans emploi, commercial, 33 ans, Paris «Ça risque de nourrir les gilets jaunes»

«Je suis inscrit à Pôle Emploi depuis la mi-septembre. C’est vrai qu’ils ont vraiment bien prévenu leurs inscrits. J’ai reçu beaucoup de mails pour nous informer de la manière dont allait se mettre en place le prélèvement à la source. Mais je ne comprends pas pourquoi on m’a appliqué un prélèvement en janvier 2019 sur mes indemnités - donc mon revenu - de décembre 2018. Je croyais que les revenus de l’année dernière ne seraient pas imposés… J’ai appelé Pôle Emploi mais personne n’a su m’expliquer la raison. Je pourrais demander aux impôts mais je n’ai pas envie de les embêter pour ça. Je verrai bien ce qu’il en est en fin d’année.

«Ce mois-ci, on m’a prélevé 500 euros. Mon taux est de 10,7 %. J’ai des indemnités importantes, donc ça ne me touche pas plus que ça. Mais je pense qu’à la fin du mois, cette réforme risque de nourrir les gilets jaunes. Les gens ne se rendent pas encore compte qu’être prélevé entre 3 % et 10 % directement sur le salaire, ça fait mal pour ceux qui n’étaient pas mensualisés jusqu’ici. Je suis commercial, je change d’employeur tous les deux ans environ et j’ai des revenus très différents d’un mois et d’une année sur l’autre. J’aurais préféré pouvoir continuer à payer mes impôts tous les trimestres ou à la fin de l’année en une seule fois.»