Une scène devenue familière : les visages du mouvement Place publique se présentent devant la presse pour tenter de recoller les morceaux d’une gauche éclatée. Ils se déploient, crient, chantent les louanges du rassemblement à chaque fois qu’un micro s’allume. En vain. A quelques mois des européennes, chaque famille tire la couette de son côté. Raphaël Glucksmann prévient à l’envi : la gauche risque sa mort dans la division et ouvre le chemin un face-à-face entre Emmanuel Macron et les extrêmes. «Je suis favorable au débat démocratique, lorsque les personnes ne sont pas d’accord, c’est logique de débattre, de se disputer. Mais lorsque nous sommes d’accord sur le fond, c’est absurde», dit le cofondateur de Place publique. Rien n’y fait, la gauche et les écolos se regardent de travers.
La petite bande est optimiste, persuadée que la «raison» l'emportera sur les «querelles». Place publique, après plusieurs réunions – dans leur local sur le boulevard Bonne-Nouvelle, à Paris –, a mis en place une stratégie vertigineuse : une «campagne autour de dix combats communs». Dans le communiqué de presse, ils écrivent : «Plus d'excuse pour ne pas les porter ensemble en vue des élections européennes.» Les combats ? Faire passer l'écologie avant l'austérité, suspendre le Ceta et les nouveaux traités de libre-échange, bâtir une société respectueuse du vivant, rendre le pouvoir aux citoyens et aux parlements… A première vue rien qui puisse diviser la gauche et les écologistes. Au contraire.
A lire aussiPlace publique : la gauche sans gage
L'objectif de Place publique ? Mettre en avant le fond afin de prouver aux curieux, militants et observateurs que la division est une simple histoire d’ego, rien d’autre. Mardi soir, le mouvement déploie ses muscles lors d’un meeting à l’Elysée-Montmartre, à Paris. Plusieurs visages écolos et de gauche seront dans les parages (Anne Hidalgo, José Bové, le belge Paul Magnette…) pour dire que la division c’est mal, histoire de mettre un peu plus la pression sur Benoît Hamon, Ian Brossat et Yannick Jadot. En attendant, petit tour des familles à gauche pour mettre en avant les freins des uns et des autres.
Parti socialiste, sortie de secours
Place publique est un cadeau tombé du ciel. Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, répond à tous les appels, signe tous les documents : il souhaite faire partie de l'histoire. Pour cause, le PS seul ne pèse pas bien lourd. Le hic, les socialistes dérangent à gauche, Yannick Jadot ne souhaite pas travailler avec eux, Benoît Hamon non plus. Ils mettent en avant le dernier quinquennat, les «promesses» du passé. «Les socialistes sont toujours partants pour un accord et une fois au pouvoir ils font l'inverse», a souligné récemment David Cormand, le chef des Verts. La main sur le cœur, Olivier Faure jure que son parti est tout beau, tout neuf et de gauche. Mais ses probables alliés souhaitent des preuves. Un départ du PSE (parti socialiste européen) par exemple, alors que celui-ci coopère régulièrement avec la droite au Parlement européen. Impossible, répond Faure pour le moment… La seule concession qu'il consent, c'est d'avoir étrillé le bilan du quinquennat Hollande lundi soir. Et pour lui, c'est déjà beaucoup.
A Paris, le 20 décembre 2018. Réunion de travail de Place publique et les partis de gauche. De gauche à droite : Noël Mamère, Raphaël Glucksmann, Jo Spiegel et Olivier Faure. Photo Albert Facelly pour Libération
Génération.s, «oui mais…»
Benoît Hamon est déjà en campagne : des meetings, du porte-à-porte, des médias… Pour le moment, il ne décolle pas dans les sondages, toujours sous la fameuse barre des 5 % qui permet d'obtenir au moins un élu. Lorsqu'on lui parle de Place publique, il souligne les ressemblances. A la base, l'alliance devait être une banalité, une simple signature en bas d'une feuille et des sourires devant la presse. Mais l'arrivée dans le jeu du PS a tout bousculé : pas question pour Hamon de s'afficher avec son ancienne famille, un «retour en arrière [qui serait] mal vécu» par les militants, explique-t-il. Les blessures sont nombreuses et le passé dure longtemps à gauche. La seule condition ? Que les socialistes quittent le PSE afin de prouver au monde entier qu'ils tirent un trait sur le quinquennat de François Hollande et qu'ils admettent «l'échec» de la social-démocratie. Comprendre : Place publique doit faire un choix entre Benoît Hamon et le PS d'aujourd'hui…
Les communistes, les rouges d’abord
Le PCF a changé de chef et de stratégie. Après le départ de Pierre Laurent, le nouveau taulier souhaite que son parti s'affirme, ne se cache pas derrière un autre. Résultat, à chaque fois qu'une famille lui parle d'alliance, il répond : «Ian Brossat tête de liste !» Sa seule condition. Et les communistes, qui squattent les 2% dans les sondages, surveillent de près les gilets jaunes. Récemment, l'un d'entre eux nous disait : «Place publique c'est bien mais ce n'est pas la France ouvrière, ce sont des bobos bien intentionnés et ce n'est pas certain que ça marche.» Chez Glucksmann and co, on se marre et on rétorque : «Ian Brossat a passé sa jeunesse à l'usine ?» Des blagues, des vannes et toujours une question : le PCF ira-t-il seul jusqu'au bout afin d'affirmer son identité ou bien fera-t-il alliance dans la dernière ligne droite ? Mystère et boule de gomme.
Raphaël Glucksmann, Claire Nouvian, Damien Carême et Yannick Jadot à la marche pour le climat du 27 janvier. Photo Albert Facelly pour Libération
Les Verts, seuls et certains
Tous les regards se tournent vers lui. Les critiques aussi. Yannick Jadot, le diviseur ? La tête de liste EE-LV s'en moque. Il fonce et rêve d'un score à deux chiffres. Et lorsqu'on lui parle d'alliance, il fait les gros yeux, souffle que la gauche ne le concerne pas : lui, c'est l'écologie. Avant de se lancer, le candidat a rencontré plusieurs têtes de Place publique (Porcher, Nouvian et Glucksmann). Le mouvement n'était pas encore né et il souhaitait les convaincre de mener campagne avec les Verts. Depuis, chacun est parti de son côté. Mais Place publique pousse pour que Jadot «revienne à la raison». Glucksmann argumente : «L'écologie a gagné la bataille culturelle à gauche, on souhaite mener une liste écolo et européenne, il n'y a pas de désaccord avec Jadot.» Mais aucun signe pour le moment. Les Verts s'agacent de la pression et des questions. «Dans un moment de grande confusion politique, nous jouons la carte de la clarté. Il faut un bulletin vert pour élire des députés verts qui siégeront dans un groupe vert», dit la tête de liste écolo, sûr de son heure. Au-delà de la stratégie, compliquée, de faire travailler ensemble Jadot et Hamon. Après l'échec de la présidentielle, l'ambiance est très tendue entre les deux. Des clashs à foison, les Booba et Kaaris de la gauche.
Raphaël Glucksmann et Jean-Luc Mélenchon à la marche pour le climat, le 27 janvier. Photo Albert Facelly pour Libération
La France insoumise, chacun sa route
Une alliance entre LFI et Place publique ? Même pas en rêve. Aucun des deux mouvements ne l'imagine. Pour autant, il y a eu quelques contacts. En décembre, Jean-Luc Mélenchon a déjeuné avec Thomas Porcher, puis quelques jours plus tard, le tribun a une nouvelle fois déjeuné avec Thomas Porcher et Raphaël Glucksmann. A table, ils ont causé du fond mais pas de stratégie. Des divergences existent sur la vision de l'Europe notamment. Mais Place Publique souligne que la tête de liste insoumise pour les européennes, Manon Aubry est une «copine». La fondatrice de Bloom, Claire Nouvian souffle : «Avec Manon, nous sommes d'accord sur presque tout.» Du coup, Place publique fait un pari sur l'avenir : «On espère travailler avec eux en juin, après les européennes», disent-ils. Du côté de La France insoumise, on ne dit rien, on se concentre sur le présent et l'actualité est chargée entre l'élection qui approche et les gilets jaunes. Et comme le chante si bien le groupe marseillais, IAM, Demain c'est loin.