Déterminé à défendre jusqu'au bout le bien-fondé de la fusion Siemens-Alstom, le PDG du conglomérat allemand Joe Kaeser met un gros coup de pression sur la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, qui semble sur le point de bloquer l'opération. «Il va être intéressant de voir si le futur de la mobilité (ferroviaire) va être déterminé par des technocrates rétrogrades ou des Européens tournés vers l'avenir», a lancé Kaeser, en marge de la présentation des résultats annuels de Siemens. Et le très raide patron bavarois d'ajouter : «le droit de la concurrence européen a pris effet il y a trente ans dans un contexte complètement différent» et il serait «naïf de croire que les Etats peuvent individuellement faire face à la concurrence chinoise».
Verdict le 18 février
En annonçant leur rapprochement en septembre 2017, qui doit aboutir à la prise de contrôle du fabricant du TGV par le géant industriel allemand, Siemens et Alstom ont effectivement justifié l'opération par la concurrence du dragon chinois du ferroviaire CRRC. Numéro 1 mondial du secteur, ce dernier est déjà deux fois plus gros qu'Alstom et Siemens réunis. Mais pour l'heure, CRRC est pratiquement absent du marché européen. Et cette menace encore virtuelle n'enlève rien au fait que la future entité Siemens-Alstom détiendrait, elle, plus de 90% de parts de marché, dans certains pays comme la France, la Grande-Bretagne ou l'Allemagne. Loin, très loin devant le constructeur de trains espagnol CAF et le canadien Bombardier, qui risquent de se faire laminer sur les marchés de trains régionaux, tramways et autres métros en EuVerdicrope, sans parler des trains à grande vitesse qu'Alstom et Siemens sont pratiquement seuls à proposer.
Une «position dominante» qui ne pouvait échapper aux services de la direction de la concurrence à Bruxelles, d'autant que plusieurs pays membres l'ont pointée du doigt. Margrethe Vestager, qui doit dire d'ici le 18 février si ses services autorisent ou retoquent le rachat du groupe ferroviaire français par le géant allemand, appréciera en tous cas le qualificatif de «technocrate rétrograde» dont elle est affublée. Peu de chances que cette charge violente de Kaeser la mette dans les meilleures dispositions. Car en ouvrant son enquête approfondie, la Commission européenne a déjà fait savoir qu'elle craignait que le mariage d'Alstom et de Siemens «ne réduise la concurrence pour la fourniture de plusieurs types de trains et de systèmes de signalisation». Notamment dans les trains à grande vitesse où le TGV d'Alstom et l'ICE de Siemens sont archi-dominants.
Guerre psychologique
Or pour l'heure, les deux groupes n'ont offert que des concessions limitées représentant 4% seulement du chiffre d'affaires combiné de la future entité, soit 600 millions d'euros sur plus de 15 milliards de chiffre d'affaires combiné. Ils proposent notamment la cession des trains Velaro de Siemens et des Pendolino d'Alstom et la possibilité de céder sous licence à d'autres constructeurs ferroviaires certaines technologies de signalisation… Mais Joe Kaeser semble avoir déjà intégré l'idée d'un veto : «Si cela marche, tant mieux pour Siemens-Alstom, pour nos clients, et si cela ne marche pas, nous avons d'autres options.» Et de fait, les deux groupes, qui viennent d'enregistrer d'excellents résultats financiers ont les moyens de continuer leur route chacun de leur côté. Alstom vient par exemple d'annoncer un chiffre d'affaires en hausse de 16% sur les neuf premiers mois de l'exercice. Et son carnet de commandes est archi-plein, à 40 milliards d'euros. A se demander pourquoi il était tellement urgent pour le Français de se vendre à Siemens, si ce n'est pour distribuer un généreux dividende exceptionnel de 1,8 milliard d'euros à ses actionnaires…
Le feu vert donné à l'opération par Emmanuel Macron, juste après son élection, a d'ailleurs fait polémique, la gauche et la droite dénonçant un «bradage» du TGV tricolore. Et les syndicats français d'Alstom restent, eux, vent debout contre le rachat de leur entreprise par Siemens qui risque d'aboutir à des centaines de suppressions de postes lorsque les engagements pris par l'allemand pour quatre ans seront caducs. Mais le gouvernement français, par la voix de Bruno Le Maire, continue à pousser en faveur de cette fusion. «Plus rien ne justifie un refus par la Commission européenne de la fusion entre Siemens et Alstom», déclarait encore dimanche le ministre de l'Economie. Si ce n'est pas de la guerre psychologique, cela y ressemble. Mais Magrethe Vestager n'est pas du genre à se laisser déstabiliser.