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Libération
Éditorial

Trouble

publié le 1er février 2019 à 20h06

C’est un des grands défis géopolitiques du monde d’aujourd’hui. Alimenté par des espérances de profit gigantesques, fondé sur un mépris total de la vie humaine et l’usage de moyens de violence sans limite - assassinats à la chaîne, enlèvements, chantage, torture -, le trafic de drogue a créé, en Amérique latine mais aussi dans d’autres régions, des entités de fait qui sont comme des Etats dans l’Etat. Capables de contrôler des régions entières, de corrompre fonctionnaires et élus à tous les niveaux, de faire exécuter qui bon leur semble pour une poignée de dollars, les cartels mafieux disposent d’un pouvoir exorbitant qui défie les gouvernements légaux et fausse par la terreur le jeu politique. Le procès de Joaquín Guzmán, dit «El Chapo», aussi spectaculaire et instructif soit-il, n’est qu’un épisode banal dans cette saga cynique et sanglante de la cruauté et de l’avidité. Ce personnage sans aveu, assassin de masse, mérite cent fois son sort. Mais sa condamnation, qui procède d’une logique élémentaire, ne saurait faire oublier que les cartels continuent de prospérer en dépit de tous les efforts déployés dans le cadre de la «guerre contre la drogue» lancée il y a des lustres par l’administration américaine. Cette décourageante résilience repose sur deux piliers : la corruption qui sévit toujours au sein des appareils étatiques d’Amérique latine et qui se prolonge parfois au nord, assurant aux narcos l’impunité relative sans laquelle ils ne pourraient maintenir leur emprise ; l’existence d’un marché juteux dans les grands pays du Nord, qui implique toutes les classes de la société, à commencer par les élites. Peut-être est-ce un motif de réflexion : la tolérance trouble des hautes sphères occidentales envers les produits stupéfiants, la cocaïne en particulier, a pour corollaire la prospérité insolente des assassins et des tortionnaires des cartels.