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Libération
Récit

Banlieues et Macron, le Borloo de la discorde

Lundi soir, le président de la République était à Evry-Courcouronnes dans le cadre du grand débat. Plusieurs maires lui ont rappelé l'abandon du «plan Borloo» en mai dernier. Une «douche froide», disent-ils.
Emmanuel Macron lors d'un débat à Evry-Courcouronnes lundi. (Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 4 février 2019 à 21h35

Depuis la naissance des gilets jaunes, plusieurs théories circulent sur les ronds-points, médias et dans les cafés du coin. L’une d’elles : les banlieusards guettent la crise de très loin, ils se tiennent à l’écart. Les théoriciens détaillent à l’envi les causes. La banlieue porte un gilet jaune depuis sa naissance, elle refuse de marcher dans la rue avec l’extrême droite et, surtout, elle a la mémoire longue : les habitants des tours n’oublient pas les révoltes urbaines en 2005, lorsqu’ils se sont retrouvés seuls sur le bitume face à une crise sans issue. Tout y passe, alors que personne ne détient la vérité.

Paillasson

Lundi, en fin d'après-midi, Emmanuel Macron a tenté de se faire une idée en s'invitant à un débat à Evry-Courcouronnes, dans l'Essonne, pour échanger avec des élus et les associations du coin. Première chose frappante : les forces de l'ordre autour de la salle Claude-Nougaro. Des civils, des cagoulés, des uniformes, des brassards, des gradés. La police défile sous le regard des habitants. Une sorte de Fashion Week. Un habitué des derniers raouts nous confie : «C'est comme ça à chaque débat, tu ne verras jamais un gilet jaune sur le passage de Macron.»

A l'intérieur de la salle, quelques minutes avant l'arrivée du président de la République, c'est la grande ambiance. Les élus échangent, se tapent dans le dos. Des bises, des blagues et des «Comment ça va chez toi ?». Parmi eux, plusieurs députés de La République en marche, des têtes de gauche et le droitier Georges Tron visiblement très heureux d'être là. Toutes les couleurs politiques présentes, sauf bien évidemment la majorité, soulignent en rouge une date : le 22 mai 2018, lorsque Emmanuel Macron a caché sous le paillasson le «plan banlieues» présenté par Jean-Louis Borloo. Depuis ce jour, les maires déçus n'ont pas eu la chance de croiser Emmanuel Macron. Le moment est venu.

«Douche froide»

Hélène Geoffroy, maire Vaulx-en-Velin, revient sur l'épisode : «Je n'ai pas compris sa décision, pour mener une politique il faut un plan et il a décidé autre chose. Depuis il y a une certaine amertume chez de nombreux maires.» L'ancienne secrétaire d'Etat à la politique de la ville, sous François Hollande, espère que les débats permettront de «changer le regard» du chef de l'Etat, de le faire «évoluer». Egalement présent, le maire communiste de Montreuil, Patrice Bessac, prévient : «Il y a de la colère, voire de la rage, chez beaucoup de citoyens. Les débats doivent créer du dialogue pas de la frustration.» Comprendre : ça urge et à en croire les édiles de différents départements, la solution se trouve entre les mains de Jean-Louis Borloo.

Un peu après 17h30, Emmanuel Macron arrive à pas lents, le brouhaha laisse place au silence complet. Il serre quelques mains, glisse des mots aux visages familiers et prend la parole un instant pour expliquer les règles du jeu («un débat sans tabou»), avant de laisser le micro aux élus et responsables associatifs. Ils pointent tous les difficultés qui s'aggravent au fil des jours. Le logement, l'éducation, l'égalité, l'emploi, la «distance» entre l'Elysée et les citoyens, tournent dans toutes les bouches. Le nom Jean-Louis Borloo, aussi. Les uns et les autres demandent directement à Macron les causes de «l'abandon» du plan. Une «douche froide», lui souffle Gilles Leproust, maire d'Allonnes dans la Sarthe.

«Je suis d’accord avec vous»

L'heure tourne, les mains se lèvent. Chaque tête souhaite lâcher son cri, même le député LR, Robin Reda. Le maître de cérémonie, Sébastien Lecornu explique aux députés qu'ils sont dans les parages pour tendre l'oreille : «Vous avez l'occasion d'interroger le gouvernement toutes les semaines au Palais-Bourbon.» Robin Reda a tout de même eu le droit de s'exprimer sur les réseaux sociaux : «J'aurais aimé demander au Président s'il estime que les Blancs ne peuvent pas aussi chanter l'espoir pour les banlieues et surtout savoir s'il regrette sa vision racialisée…» Pas son truc les problèmes de logements ou d'éducations…

Deux heures plus tard, Emmanuel Macron se place (enfin) au milieu de la salle. Le regard sur sa petite feuille, il abandonne une nouvelle fois le plan Borloo à grande vitesse. Ça donne : «Ce n'est pas tout ou rien, le 22 mai, il y a eu une vraie révolution, on a remis des milliards pour la rénovation urbaine.» Gilets jaunes, ou pas, Jean-Louis Borloo reste sur le côté malgré la pression des édiles de l'autre côté du périphérique. Bilan en milieu de soirée ? Dans une ambiance calme, un rythme lent, Emmanuel Macron, qui préfère le mot «quartiers» a «banlieues», a commencé toutes ses phrases de la même manière : «Je suis d'accord avec vous.» Pourtant, croisée dans le hall d'entrée, une élue de Seine-Saint-Denis n'avait pas l'air très enchantée.

«Certains points» positifs

Durant toute la soirée, quelques associatifs ont opté pour la discrétion. Un pied à l'intérieur, un pied à l'extérieur. Ils n'ont pas l'air ébloui par la prestation du président. Ils se grattent la tête et ressassent : le plan Borloo, encore une fois, et le rapport de deux parlementaires de droite qui alertent sur les inégalités de l'autre côté du périphérique, notamment en Seine-Saint-Denis. Mais ils échangent régulièrement avec le pouvoir, tentent de «changer les choses». L'un d'entre eux, qui souhaite rester anonyme, confie : «Rien de nouveau, Macron fait du Hollande.» Pour autant, il souligne «certains points» positifs : «La porte est toujours ouverte pour dialoguer, ça c'est nouveau et il comprend l'urgence.» Selon lui, le changement pour la banlieue doit se faire rapidement : «Avec la crise des gilets jaunes et la pression des maires, des associations, ça se fera en 2019 ou jamais.» Comprendre : demain.