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Portrait

Emmanuelle Wargon, le grand début

Enarque passée par Danone, la secrétaire d’Etat à la Transition écologique entre vraiment en politique en coanimant le «grand débat».
(Photo Stéphane Remael pour «Libération»)
publié le 4 février 2019 à 18h26
(mis à jour le 4 février 2019 à 19h12)

Huile de palme. Danone. LinkedIn. Salaire. Mari. Fille de… Les suggestions que Google accole spontanément au nom de notre rendez-vous du jour sont… appétissantes. D’autant qu’il n’y a aucun lien apparent avec les deux nouvelles casquettes récemment attribuées à Emmanuelle Wargon. Appelée au gouvernement en octobre par Edouard Philippe, son camarade de promo à l’ENA, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie vient d’hériter du titre de coanimatrice du «grand débat national», au côté du ministre chargé des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu. C’est en toute hâte que le comité de pilotage, incluant cinq «garants», a été mis en place, Chantal Jouanno ayant renoncé à diriger l’opération après que sa rétribution a été pointée du doigt. En partant, l’ex-ministre de Sarkozy en a profité pour dénoncer une opération de com, désormais pilotée par deux membres du gouvernement.

Wargon fait le dos rond face au coup de griffe, arguant que les thèmes imposés sont suffisamment larges et que, dans ce cadre, une seule ligne rouge ne saurait être franchie : le rétablissement de l'ISF. Pour le reste, celle qui est chargée du dialogue avec les associations voit émerger plusieurs sujets comme «la justice fiscale, l'expression des retraités, l'exemplarité et les privilèges» des dirigeants publics.

En parlant de ça, on se souvient des dossiers qui sont remontés à la surface dès l'annonce de son arrivée aux affaires. Les réseaux sociaux se sont émus du rétro-pantouflage de l'énarque devenue «lobbyiste en chef» pour Danone, géant de la pollution plastique, trois mois après le départ fracassant de Hulot, et des déclarations plus que timorées de Wargon sur l'huile de palme ou les OGM. L'image publique de la nouvelle venue à l'hôtel de Roquelaure a été immédiatement écornée. Elle dénonce «un procès d'intention», «une polémique inexacte parce que tronquée» sur l'huile de palme. «J'ai dit que cela posait un problème de déforestation majeur mais que dans certains cas, c'était un ingrédient utile. Je n'ai pas changé d'avis. Pour moi, la question est de savoir s'il est possible de faire émerger une huile de palme durable», reprend-elle. Autre controverse, celle qui gagne aujourd'hui autour de 7 500 euros net en tant que secrétaire d'Etat - «la moitié de Chantal Jouanno, by the way» - a dû dévoiler ses revenus de 2018 auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. 475 899 euros net précisément. Ce chiffre mirobolant est, tient-elle à préciser, un salaire annuel majoré des parts variables de 2017 et 2018. Certes. M'enfin bon, comme elle le dit elle-même «pour les Français, 380 000 ou 475 000, ça ne change pas grand-chose. Ce sont des rémunérations élevées». Effectivement. Elle assure ne pas être sortie du service public pour augmenter son salaire, mais afin de «concourir à l'intérêt général depuis une entreprise». Mais à l'heure où les gilets jaunes s'échinent à décrocher des miettes de pouvoir d'achat, celle qui a œuvré à la mise en place du revenu de solidarité active réalise que la situation «pose un certain nombre de questions». Du coup, elle se dit ouverte à «une réflexion sur les rémunérations du privé», voire envisage l'option d'«un multiple de plafonnement des salaires».

Avant de décrocher le jackpot à Danone, Wargon a suivi un cursus confortable. Fille unique d'une énarque, Francine Wolf, et de Lionel Stoléru, membre des gouvernements de Giscard et de Mitterrand, elle a usé les bancs de toutes les grandes écoles : Sciences-Po, HEC, l'ENA. Puis elle a fait ses armes dans la haute administration et au sein de plusieurs ministères. Elle s'est liée par exemple avec Martin Hirsch, dont elle deviendra la directrice de cabinet, dans le «petit club Kouchner», selon le mot de ce dernier. Au Haut Commissariat aux solidarités créé par Sarkozy, elle se montrait «structurée mais pas pétrie de certitudes», «concernée par les sujets de pauvreté qu'on avait à traiter», loue Hirsch resté son ami. Jusque-là, Wargon était «plutôt dans l'ombre», «au sein du process de décision», dit-elle. Elle trouve sa nouvelle exposition «à la fois assez difficile et assez sympa, c'est assez stimulant». On nous avait glissé qu'elle était «bosseuse», «exigeante» voire «opportuniste». Elle se décrit «tenace» voire «têtue». Politiquement, elle se dit «plutôt à gauche» et a (pourtant) voté Macron aux deux tours de 2017.

En dehors du boulot ? Cette mère de famille de presque 48 ans lâche qu'elle habite «en banlieue Est», dans le Val-de-Marne, mais refuse de parler de ses trois enfants, qui ont entre 15 et 21 ans. Son mari est chef de service des urgences à l'hôpital de Saint-Denis. Ce qu'elle analyse comme une opportunité «de ne pas être complètement déconnectée de la vraie vie».

Côté hobbys, c'est un peu morne plaine. Fille d'un ministre qui était aussi chef d'orchestre, elle écoute plutôt de la variété, de Goldman à Imany, qu'elle chantonne dans sa salle de bains. Même simplicité dans ses goûts littéraires : elle préfère les romans, tendance polars, aux essais. Côté séries, elle apprécie The Wire, le Bureau des légendes, True Detective, Dirk Gently… et se rend à la piscine municipale tous les dimanches, «pour nager un kilomètre». Tailleur gris, chaussures à talons de daim beige, Emmanuelle Wargon ne portait pas de maquillage quand on l'a rencontrée. A peine a-t-elle mis un trait de rouge à lèvres au milieu de la séance photo qui s'est déroulée dans un des longs couloirs blancs qui mènent à son bureau.

On s'interroge sur son engagement écologique. Elle ne nie pas l'évidence : «Ce n'est pas ma culture depuis toujours, ce sont des sujets que j'ai découverts progressivement.» L'ancienne scout, adepte de randos en montagne, tente d'expliquer malgré tout que son rapport à la nature est «un truc personnel», «pas théorisé dans un engagement écologique». On tente d'y voir plus clair auprès du président de France Nature Environnement, Michel Dubromel, qui, comme les autres acteurs du Landerneau écolo, ne connaissait pas Emmanuelle Wargon il y a quelques semaines. Son verdict ? Wargon serait «une personne qui ne tourne pas autour du pot et qui avait une maîtrise impressionnante de dossiers techniques après quinze jours au ministère». L'associatif se félicite de la qualité de leur dialogue, ininterrompu depuis. «Le téléphone chauffe et elle attend qu'on lui réponde dans la demi-journée», se réjouit-il, sans oublier les désaccords de fond. Wargon utilise les expressions «urgence à agir», «défi colossal» ou «double peine pour les personnes en situation de pauvreté». Mais rêve d'«un modèle de développement économique mondial dans lequel on soit capable de produire de la richesse et qui soit compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et l'épuisement des ressources». Quand il y a loin de la coupe aux lèvres.

1971 Naissance à Neuilly (Hauts-de-Seine).
2015 Directrice générale de la communication à Danone.
Octobre 2018 Entrée au gouvernement.
Janvier 2019 Coanimatrice du grand débat national.