Et Emmanuel Macron tomba la veste. «J'ai chaud», s'est justifié le chef de l'Etat dans l'Eure ce 15 janvier, devant plusieurs centaines de maires normands, entre la cinquième et la sixième heure d'un échange qui en compta sept. «Quand je l'ai vu faire ça, je me suis dit : allez, c'est reparti pour un tour», rapporte un proche du chef de l'Etat. Sept heures dans l'Eure. Six heures quarante dans le Lot, quelques jours plus tard. Plus de trois heures, le 24 janvier, devant une assemblée citoyenne de Bourg-de-Péage, dans la Drôme. Et ce n'est pas fini : après avoir répondu lundi soir devant les élus de l'Essonne, Emmanuel Macron interviendra jeudi en Saône-et-Loire face à un millier de jeunes.
Ces apparitions, pour les premières au moins, ont étonné les observateurs, rassuré un camp présidentiel tétanisé par les gilets jaunes et accompagné un léger redressement de la popularité du chef de l'Etat. Au sein de la majorité, pourtant, certains s'interrogent sur la dépendance du macronisme aux performances de son champion. «Le grand débat, je le regrette, repose trop sur Emmanuel Macron, estime ainsi le député LREM Laurent Saint-Martin. On ne peut pas, en 2019, tout attendre d'un homme : à nous, parlementaires, de faire vivre ce débat sur le terrain». L'élu juge «d'ailleurs que les gilets jaunes sont coresponsables de cette situation, car ils ne se sont adressés qu'au Président».
«Chaise à porteurs»
Paroles de Cassandre ? Dans la majorité, c'est d'abord une vague d'enthousiasme qu'a soulevée le retour en scène du chef de l'Etat. Celui-ci s'en tenait depuis des semaines à de rares et discrètes sorties, sous les lazzis des gilets jaunes. Le voilà désormais applaudi par des élus et des citoyens sinon convaincus, du moins reconnaissants de cette occasion d'interpeller directement le premier personnage de l'Etat. Elysée et majorité voient bien des vertus à ces échanges qui, en mettant Emmanuel Macron «à portée d'engueulade», doivent contredire l'image d'un président «hautain» ou «déconnecté».
«C'était une accroche nécessaire pour le grand débat, car il a cette capacité de sidérer les gens, estime le député LREM Jean-Baptiste Djebbari. Cela a permis de créer une dynamique et de reconnecter avec les maires». Pour son collègue Aurélien Taché, Macron «a marqué le point dans l'Eure : sur BFM, dans les commentaires, vous sentiez que le ton changeait à mesure que la soirée avançait». Un autre se réjouit de voir le chef de l'Etat, réputé «reclus» à l'Elysée au plus fort de la crise, retrouver le chemin du terrain : «Que ça lui permette de se sortir de l'Elysée et des hauts fonctionnaires, qu'il en chie sur le terrain avec les maires, qu'il écoute le pays, après tout c'est une bonne chose.»
L'élu ironise toutefois sur la pompe médiatique et sécuritaire qui entoure ces déplacements : «Ils ont sorti la chaise à porteurs et le roi fait le tour de France». Un autre député s'inquiète : «On est dans une crise de représentativité et on creuse encore. On ne supporte plus d'avoir un roi et pourtant on fait tout pour. Le message, c'est presque : si tu as un problème de chaudière, appelle Macron.»
Pédagogie
Il est vrai que la tournée présidentielle peut sembler contredire l’esprit du «grand débat national». L’exercice, censé offrir toute garantie d’indépendance vis-à-vis de l’exécutif, devait en quelque sorte mettre celui-ci à l’école des citoyens. Mais les apparitions du président changent radicalement, là où il intervient, la nature de l’exercice. Entourant l’assemblée d’un inattendu appareil policier et journalistique, substituant au débat entre égaux une litanie de pétitions au chef de l’Etat, offrant à ce dernier l’occasion de longues séances de «pédagogie».
Ce chamboulement ne concerne, certes, qu'une infime partie des réunions publiques : plus de 3 300, passées ou à venir, étaient répertoriées lundi sur le site du grand débat. Mais, diffusées en direct par les chaînes d'information en continu, les interventions présidentielles créent un ambitieux précédent pour certains parlementaires, nombreux à remplir leur agenda de consultations en circonscription. Un député LREM raconte avoir désarçonné l'assistance à l'ouverture d'un débat animé par ses soins : «J'avais prévu de m'en tenir à la méthode classique du grand débat, une feuille devant moi, stylo en main, et de noter leurs propositions question par question. Mais eux s'attendaient à ce que je fasse un stand-up comme Macron avec les maires.»
«One-man-shows»
Le procédé a, aussi, de quoi entretenir le doute sur l'impartialité du débat, où la présidente de la Commission nationale du débat public, Chantal Jouanno, dénonce, après avoir renoncé à l'organiser, une «vaste opération de communication». Tandis que les Républicains, qui voient dans ces interventions une campagne déguisée, ont saisi la semaine passée le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), pour lui demander d'intégrer les «one-man-shows successifs» du chef de l'Etat au temps de parole du gouvernement. «Le monopole de la parole présidentielle, en tout cas en direct, sur un grand nombre de médias en information en continu nous interroge», a fait savoir l'un des porte-parole du parti de droite, Gilles Platret.
Ces apparitions mettent enfin le doigt sur une embarrassante caractéristique du macronisme : la solitude du chef de l'Etat, unique recours ou presque de son camp dans la tempête. «En fait, on n'a toujours pas trouvé mieux que Macron pour expliquer le macronisme, constatait l'an passé le député LREM Gabriel Attal, devenu depuis secrétaire d'Etat. Donc tous les six mois il faut qu'il fasse une grande émission pour expliquer.» Même si le Premier ministre s'est, lui, invité dans plusieurs débats locaux ces derniers jours, l'impact de ces sorties est sans commune mesure avec celles du chef de l'Etat.
Il est vrai que ce dernier se voit soumis à des exigences contradictoires : «Comme dans tous les autres partis, il n'y a pas beaucoup de remplaçants sur le banc à LREM, estime le député Sacha Houlié. Il nous faut bien un meneur de jeu. Il se trouve qu'Emmanuel Macron le fait bien : s'il le faisait mal, tout le monde se moquerait de lui, et s'il ne le faisait pas du tout, tout le monde dirait qu'il se planque !» Selon son collègue Laurent Saint-Martin, «le président aurait peut-être voulu prendre de la hauteur plutôt que de s'exposer à ce point. Mais en fin de compte, c'est vers lui que les gens se tournent». Quitte à ce que le deuxième temps du quinquennat ressemble fort, de ce point de vue, à son premier acte.