Quinze minutes de récit fluide avant que la voix de Cécile Duflot ne défaille. Elle avait promis de témoigner devant la justice en soutien de Sandrine Rousseau. Promis de raconter ce qui lui était arrivé à elle. Un soir de mai 2008 à São Paulo, Denis Baupin aurait tenté de faire irruption dans sa chambre d'hôtel et lui aurait caressé la nuque sans son consentement, en disant «je suis sûr que tu en as autant envie que moi, laisse-toi faire». A la barre, l'ancienne secrétaire nationale d'Europe Ecologie-les Verts tremble : «Lorsque j'ai vu son regard en ouvrant la porte, j'ai paniqué instantanément. J'étais d'une vulnérabilité totale. Je ne sais même pas comment j'ai réussi à le repousser et à refermer la porte de ma chambre.»
Larmes. Ce que Duflot raconte, c'est qu'elle s'est «menti à elle-même» durant des années. «C'est une agression sexuelle. Simplement, moi, j'avais nié. Jamais ça ne m'avait traversé l'esprit que cet événement pouvait relever d'une plainte. J'étais une femme solide, très solide, avec une grosse capacité à encaisser. A cette époque, il y avait une différence entre la réalité et la manière dont j'avais vécu ces faits. J'ai aussi cruellement manqué de compréhension à l'égard des autres femmes qui disaient avoir subi des violences», analyse l'ancienne ministre du Logement. Sa gorge semble aussi nouée que rongée par la culpabilité.
En 2013, lorsqu'elle apprend que Baupin envoie des SMS répétés à connotation sexuelle aux députées EE-LV Isabelle Attard et Véronique Massonneau, Cécile Duflot ne dit rien : «Je pense à Emmanuelle Cosse, mon amie intime, qui vient d'accoucher de jumeaux et dont Denis Baupin est le père. […] Je lui ai tendu de grosses perches pour essayer d'évoquer le sujet avec elle, mais elle n'a jamais saisi l'occasion.» De même lorsque les journalistes de Mediapart et de France Inter la sollicitent pour leur enquête sur Baupin en 2016, elle refuse de parler. «Je me prépare à être candidate à la présidentielle, c'est bientôt les primaires. […] J'ai un grand sens du collectif : je pensais au parti, je voulais me taire pour l'intérêt général», explique-t-elle au président de la 17e chambre du TGI de Paris.
Ensuite viennent les regrets et les larmes : «C'est une abdication en rase campagne et je n'en avais pas conscience. Je remercie sincèrement les journalistes : sans cette enquête, Denis Baupin aurait continué, car dans notre parti, sous couvert de comportement libertaire, de parité et tout ça, nous étions finalement très complaisants avec la violence [sexuelle]. Maintenant que c'est dit, les filles après nous, non seulement elles auront des responsabilités [politiques], elles sauront qu'elles n'ont pas à subir tout ça.»
«Complices». Après celle qui a quitté la politique pour devenir présidente d'Oxfam, un homme est appelé à la barre, l'élu écologiste et assistant parlementaire de Yannick Jadot, Alexis Braud. Il parle de manière plus concise et moins émue, mais il exprime ce même sentiment de regrets coupables : «Je dois faire sans doute partie de ces gens à qui Sandrine Rousseau s'était confiée et qui n'ont rien fait. Sandrine était psychologiquement très affectée, mais moi, je n'ai pas pris conscience que c'était une agression sexuelle. Je m'en veux.» Stéphane Sitbon-Gomez lui succède. Aujourd'hui directeur de cabinet de la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, ce trentenaire a été pendant quinze ans membre du parti, puis cadre et tête pensante de Duflot. Il y va franco : «Au sujet des agissements de Denis Baupin, je voudrais d'abord vous dire, monsieur le président, qu'on savait tous et qu'on savait presque tout.» Duflot s'était confiée à lui en 2008. Sandrine Rousseau avait fait de même en 2011 et le cas d'Annie Lahmer lui avait été rapporté plusieurs fois, par plusieurs militants dès 2001. «Sans oublier les rumeurs qui ont commencé dès mon arrivée, alors que je n'étais qu'un adolescent de 13 ans et qui n'ont jamais cessé», précise-t-il. Sitbon-Gomez s'agite à la barre, contrôlant difficilement son anxiété. Il évoque ces «excuses» derrière lesquelles le parti s'est retranché durant trop d'années. Ces «tant qu'elle ne porte pas plainte, c'est compliqué» ou les «notre parti est féministe et il y a des choses bien pires ailleurs». Puis de s'effondrer, lui aussi : «Nous avons levé les yeux au ciel. Nous avons dit à ces femmes "on ne peut rien faire". Si c'était à refaire, je ne regarderais certainement pas ailleurs. Je pense que dans cette histoire, nous avons été au moins complices de ces agissements. Et peut-être en partie coupables.»