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Procès

Nemmouche : un «sadique, ludique et narcissique»

Au procès du jihadiste, les journalistes Didier François et Nicolas Hénin, otages en Syrie entre 2013 et 2014, ont décrit celui qu’ils ont identifié jeudi comme l’un de leurs geôliers.
Le journaliste Didier François au tribunal de Bruxelles, jeudi. (Photo Colin Delfosse)
publié le 7 février 2019 à 20h36

Ils n'ont «aucun doute». Celui qui fut leur geôlier en Syrie se trouve bien là, à quelques mètres d'eux, dans le box des accusés de la cour d'assises de Bruxelles. Jeudi matin, deux ex-otages de l'Etat islamique, les Français Didier François et Nicolas Hénin, sont venus témoigner au procès de Mehdi Nemmouche, soupçonné d'avoir assassiné en quatre-vingt-deux secondes quatre personnes au Musée juif de Belgique le 24 mai 2014. Les photographes Edouard Elias et Pierre Torrès, détenus avec eux, étaient absents.

«Atypique». C'est la première fois depuis les sous-sols de l'hôpital ophtalmologique d'Alep, où ils furent prisonniers dix mois durant (de juin-juillet 2013 à avril 2014), que Didier François et Nicolas Hénin revoyaient leur ancien tortionnaire. Dès leurs premiers pas dans la salle, leurs yeux se cherchent, se croisent. En costume et cravate sombres, le longiligne Nicolas Hénin est le premier à s'avancer. La tête et le regard happés par le jihadiste français de 33 ans. Assis épaule contre épaule face à la cour, les anciens compagnons de captivité ont, durant toute une matinée, dépeint leur quotidien d'otages. Et, surtout, la personnalité «complexe» de Mehdi Nemmouche, entre extrême violence et perversion, exubérance et mégalomanie.

Pédagogique, la présidente rappelle qu'il ne s'agit pas de juger son rôle dans leur captivité - une procédure française est en cours -, mais d'éclairer la cour et les 12 jurés populaires sur «le parcours de vie» de celui que les témoins qualifieront d'«atypique dans le paysage» jihadiste. Première question : «Connaissez-vous Mehdi Nemmouche ?» «Malheureusement, oui», rit Didier François, journaliste à Europe 1. Nemmouche est «un des principaux protagonistes» de leur captivité, indique Nicolas Hénin. «On a eu affaire à lui assez souvent», abonde Didier François. Là-bas, ils l'appelaient«Abou Omar».

Le journaliste d'Europe 1 a reconnu la «patte» du Roubaisien sur les vidéos et les enregistrements audio : «La voix, l'attitude, le phrasé…» Repérer les voix, les signes distinctifs, mémoriser les dates pour ne pas perdre ses repères… «Lorsqu'on est otage, on a tendance à donner des surnoms à nos lieux de détention et à nos geôliers de façon à enregistrer», développe Hénin. D'un ton clinique, extrêmement précis, l'ex-reporter de guerre, aujourd'hui chef d'entreprise, décrit les journées syriennes rythmées par les «tournées de toilettes», et les nuits «meublées du bruit des tortures et des coups» : «La tournée que nous redoutions le plus était celle du soir.» Les coups pleuvaient sur les prisonniers, les yeux bandés en file indienne. Selon leur récit, Abou Omar n'était jamais le dernier à les porter.

«Ce qu'ils nous ont fait, ce n'est rien à côté de ce qu'ils ont fait aux prisonniers syriens», complète François. Avant d'évoquer les «bouffées de violence» de leur geôlier, admiratif des terroristes Djamel Beghal et Mohammed Merah. «Son rêve, c'était de "prendre une petite juive de 4 ans par les couettes et de la fumer avec un calibre"», développe Didier François, qui fut longtemps journaliste à Libération. D'ailleurs, s'il est venu témoigner ce jour, c'est pour souligner «la dangerosité» du Français et prévenir du «risque de récidive».

«Petites blagues». Le débit rapide, la voix grave, l'ex-otage décrit aussi un mode de pression psychologique constante, s'appuyant sur des geôliers «cyclothymiques» : «Le même qui va vous apporter un thé un jour va vous mettre une raclée le lendemain.» Ainsi, celui que Nicolas Hénin qualifie d'être «sadique, ludique et narcissique» adorait leur faire de «petites blagues». Le 11 septembre 2013, Abou Omar est entré dans leur cellule en lançant à la cantonade : «Pas de chance les gars, aujourd'hui c'est férié, on vous fait rien à bouffer !» Un jour, il plaisantera face à Didier François, en combinaison orange d'otage : «Ça te va bien ton costard en peau de saumon fumé !» Le journaliste d'Europe 1 n'a pas oublié cette fois où Nemmouche, fin connaisseur du système judiciaire et amateur de l'émission Faites entrer l'accusé, s'est mis à imiter un juge d'instruction en pleine audition.

Dénué de référence religieuse, faisant montre d'un «désintérêt le plus complet pour la Syrie», dixit Hénin, le geôlier chantonnait Trenet, Aznavour, ou encore Chantal Goya. Il s'amusait aussi à faire des quiz «orientés assez islamiste» aux otages, ironise Didier François.

Alors que la présidente invite l'accusé, en fin d'audition, à dire s'il reconnaît les témoins, Nemmouche déclare : «Je n'ai toujours aucune réponse à vous formuler, Madame la présidente, à ce stade du procès.» Puis se rassoit. Mais pour la première fois depuis le début de son procès, le Roubaisien aux cheveux bruns et bouclés a fendu son masque. Lorsque Didier François a raconté que Nemmouche le surnommait «mon petit Didier», l'ex-geôlier n'a pu retenir un large sourire. Et Nicolas Hénin de trancher : «Il sourit, il se souvient !»