Au premier rang de la salle d'audience, un couple patiente sagement. Lui : brun élégant, pull kaki sur chemise blanche. Elle : longs cheveux et silhouette fine, enveloppée dans un pull et un jean sombres. Ils s'appellent Georgios D. et Chloé P., ont 29 et 30 ans. Le «couple de la Contrescarpe», c'est eux. C'est ainsi que les médias les surnomment depuis la diffusion cet été par le Monde d'une vidéo tournée sur la place du Ve arrondissement de Paris, en marge d'une manifestation du 1er mai 2018. Point de départ d'un scandale d'Etat qui ne cesse de rebondir, on y voit le désormais fameux binôme Alexandre Benalla et Vincent Crase molester le couple, avant de l'interpeller. L'affaire vaut à l'ex-collaborateur d'Emmanuel Macron et à son comparse d'être mis en examen notamment pour «violences en réunion n'ayant pas entraîné d'incapacité totale de travail» et «immixtion dans l'exercice d'une fonction publique». Une procédure dans laquelle le couple s'est porté partie civile.
Carafe d’eau
Affaire dans l'affaire : ce vendredi matin, Georgios D. et Chloé P. comparaissaient devant la 28e chambre correctionnelle du tribunal de Paris pour des violences contre les forces de l'ordre, lors de ce 1er Mai. «Journée particulière» ayant abouti à 80 gardes à vue, précise la présidente. «Vous avez été interpellés par messieurs Crase et Benalla, cette affaire a pris un tour un peu plus… beaucoup plus médiatique, même», rappelle-t-elle devant une salle comble de journalistes. Vendeur chez un traiteur grec, le garçon natif de Thessalonique (Grèce) a reconnu avoir lancé une carafe d'eau. Sa petite amie, graphiste née à Jersey (Royaume-Uni), un cendrier en aluminium et une bouteille d'eau en plastique. Ils n'ont jamais manifesté de leur vie, n'ont aucun antécédent judiciaire.
À lire aussiVidéo : comment Benalla et Crase, au cœur du dispositif policier, lancent les deux interpellations
Ce jour-là, ils étaient sortis fêter leurs six ans de vie commune. Le couple flâne sur les quais de Seine puis décide de se rendre rue Mouffetard, manger une crêpe. Ils connaissent bien le quartier, y ont leurs habitudes. Georgios D. y fut serveur plusieurs années. A la barre, Chloé P. décrit : «Là, on tombe sur un premier barrage de CRS qui bloquent le passage.» Le couple s'avance, pour voir «ce qu'il se passe». A sa gauche, son compagnon poursuit : «Un des CRS m'a gazé en plein visage.» Quoique un peu échaudé, le duo se dirige place de la Contrescarpe où l'ambiance, affirment-ils, était «sympathique». Un «apéro militant» s'y tient. «Ça avait l'air bon enfant», dit la jeune femme.
«D'un coup, ça a dégénéré.» La trentenaire développe : «Les CRS ont chargé, ils ont gazé tout le monde. On s'en est pris plein la face. Tout est allé très vite. Un des CRS a frappé Georgios de sa matraque. Un autre a balancé, d'un coup de pied, une bouteille en verre en notre direction.» Le couple reconnaît alors «avoir totalement perdu le contrôle». «J'ai attrapé ce que j'ai trouvé», poursuit Chloé P. qui parle, penaude, d'un «acte irréfléchi». Avec un accent grec très prononcé, la voix contrite, son petit ami abonde : «On n'est pas comme ça, nous ne sommes pas des fauteurs de troubles ni des manifestants. On respecte les forces de l'ordre. On regrette.»
«Poire»
L'exploitation des vidéos montre pourtant que les forces de l'ordre «ne sont pas vraiment en train de vous charger», fait remarquer la présidente, sceptique. «On a l'impression que ce serait presque les CRS qui s'amuseraient à semer le trouble au sein d'un rassemblement calme.» Egalement peu convaincu, le parquet parle d'une «manière faussement naïve de raconter les faits». La «pluie de projectiles», les «chants de guerre et de haine» dirigés contre les policiers… Tous ces «éléments matériels précis» montrent, d'après la procureure, que l'ambiance n'était pas «paisible». Si aucun CRS n'a été blessé et n'a porté plainte, la représentante du ministère public juge néanmoins les faits «inadmissibles et graves». Et requiert deux mois de prison avec sursis et 400 euros d'amende chacun. «Ce ne sont pas des jeunes qui cherchent des excuses mais qui présentent des excuses», rétorque leur conseil Me Sahand Saber, avant de demander une dispense de peine.
Après un court délibéré, Georgios D. et Chloé P. ont été reconnus coupables. Estimant «couper la poire en deux», la présidente les a condamnés à 500 euros d'amende chacun : «Vous ne rentrez pas dans le cadre d'une dispense de peine. Mais on tient compte qu'il y a assez peu de risques que vous recommenciez.» Un peu plus tôt, Chloé P. avait presque supplié : «On veut juste que ça s'arrête. Toute notre vie tourne autour de ça.» Les amoureux ont quitté la salle d'audience avec une flopée de caméras. En espérant, sans doute, sortir définitivement de leur champ.