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Libération
Reportage

A Dijon, le grand débat des petits patrons

A l’appel de leurs organisations représentatives, des chefs d’entreprise se sont réunis mercredi à la Chambre de commerce et d’industrie du chef-lieu bourguignon. L’occasion de pourfendre les taxes et le nombre de fonctionnaires tout en alertant sur le danger que la transition écologique ferait courir… à l’économie française.
Dans la Chambre de commerce et d’industrie de Dijon, mercredi.
publié le 8 février 2019 à 20h26

L'affaire était mal engagée. Sur le site du grand débat national, les organisations patronales, à l'initiative de la soirée, avaient indiqué une adresse mail d'inscription erronée. La veille, elles avaient appris que deux députés LREM avaient aussi choisi la date du 6 février pour une séance similaire. Et ce à quelques mètres de la Chambre de commerce et d'industries (CCI) de Côte-d'Or, à Dijon, où elles avaient, elles, convié les patrons. Dans la salle, mercredi vers 18 heures, une cinquantaine de sièges orangés avaient trouvé preneur. Un peu «décevant», reconnaît au micro Xavier Mirepoix, le président de la CCI. Mi-janvier, le Medef, au niveau national, avait invité «les entrepreneurs à participer largement à ce dialogue indispensable». Même son de cloche à l'U2P et la CPME. Sur les murs, huit écrans affichent les logos des organisateurs : les trois organisations patronales, la CCI et la Chambre des métiers et de l'artisanat. «On est là pour parler d'une voix», note l'hôte, avant de céder la parole à l'animateur, un journaliste du cru. C'est «un grand débat version chef d'entreprise», explique ce dernier, rappelant les quatre thèmes, «base de travail» sur lesquels le gouvernement invite les citoyens à phosphorer jusqu'au 15 mars.

Première thématique annoncée par ce Monsieur Loyal : «Impôts, dépenses et action publique.» Au premier rang, un patron en pull camionneur, propriétaire d'un magasin de motos, lève la main. «Les taxes j'en ai ras-le-bol, je suis gilet jaune parce que j'en ai marre de payer, payer, de travailler, travailler.» Dans son viseur : la taxe foncière, mais surtout celle sur les enseignes et publicités extérieures. Il raconte avoir enlevé des pancartes de sa façade. A tel point que «des clients m'ont demandé si j'allais fermer», assure-t-il. Pour autant, la facture reste trop salée à son goût. «Ça s'appelle du racket.»

Quelques rangs plus loin, l'ex-numéro 1 du Medef local rebondit : «La plaie, c'est l'impôt sur la production : quels que soient vos résultats, vous êtes taxés pareil.» Un autre joue la provocation : «Il n'y a qu'une façon de supprimer le déficit de l'Etat : c'est de multiplier l'impôt sur le revenu par deux.» Petit malaise dans l'assemblée, vite dissipé.

Photo Claire Jachymiak

Doudoune

«Les équilibres sont complexes à trouver», souffle cet homme en chemise blanche qui râle aussitôt contre les taxes «absurdes inventées au fur et à mesure par les pouvoirs publics pour financer leurs projets». A la tribune où sont installées les têtes de files des organisations patronales locales, l'une d'elles réagit : «La redistribution doit être faite par les entreprises. Ce n'est pas en augmentant l'impôt qu'on va mieux redistribuer, c'est en allégeant les entreprises.» La solution passe donc par une «réduction de la voilure de l'Etat pour avoir moins d'impôts». Un autre propose de baisser les subventions aux entreprises, mais à condition de réduire les taxes : «Aidez-nous moins, mais prélevez-nous moins.» Un «ancien industriel» a une autre idée : «Il faut une convergence entre les pays européens», c'est-à-dire un alignement sur les Etats les «mieux lotis» sur les plans fiscal et social. Une seconde, on se croit en plein congrès de la CGT, qui défend une «harmonisation vers le haut des garanties sociales». Mais, ici, le logiciel est renversé : C'est tout le contraire qui est visé.

L'animateur relance : «Quelles sont les économies prioritaires à faire pour l'Etat ?» Emulation dans la salle. «Suppression de fonctionnaires, de ministères», s'empresse de répondre le patron d'une boîte de peinture, en doudoune. Il veut diviser par deux le nombre de parlementaires. Pêle-mêle, il parle de «remettre les gens au travail», de «retour aux 40 heures», du système éducatif qui «a dévalorisé le travail manuel». Un ébéniste dit en avoir «marre de devoir payer 750 euros par mois un apprenti qui sait tout juste tenir un balai». «Moi, je suis pour payer mes apprentis», tempère un représentant patronal, défendant l'idée de «transmission» des savoir-faire.

S'ensuivent quelques coups contre «le millefeuille administratif» et les aides sociales, «les plus élevées au monde», croit savoir un patron. Il cite Emmanuel Macron qui, en septembre, invitait les chômeurs à traverser la rue pour trouver du boulot : «Il dit vrai, partout on cherche. Pour préparer des colis dans les supermarchés, il ne faut pas avoir fait Polytechnique, et pourtant on ne trouve pas.» «Forcément quand on leur propose des contrats de 20 heures…» s'agace un autre. «Oh, un patron de gauche», ricane un participant. Ledit patron, conseiller en gestion du patrimoine, se voit plutôt comme un «humaniste». «C'est bien ce débat, mais c'est le même clan qui parle», confie-t-il plus tard en quittant les lieux.

«Croupières»

A l'heure de plancher sur les services publics, «vrai poumon pour l'activité économique», selon un participant, l'assemblée a quelques mots pour les salariés, les loyers hors de prix, les difficultés de transport, le manque de places en crèche et de services en zone rurale. Un banquier s'agace : «J'ai choisi de garder des agences partout, même là où ce n'est pas rentable. Je ne vois pas pourquoi la Poste ferme là où moi je reste.» Présent deux rangs derrière, le directeur départemental de la Poste répond «mutualisation» et «maison de services au public».

Quand vient le sujet de la transition écologique, la fougue redescend. Le temps presse, il faut encore parler démocratie et honorer le cocktail qui attend dans le hall. Chacun y va de son mot pour la planète : «Y a quand même ce qu'on va laisser à nos enfants», dit un employeur. Tous s'accordent sur un même objectif : avancer vers un modèle plus vert, mais piano piano. «Cette transition, ça nous affaiblit économiquement», dit l'un d'eux. La fin annoncée du diesel inquiète. «On était leader et on a accepté de se faire tailler des croupières. Les moteurs électriques viendront tous de Chine», pointe un autre. «L'écologie c'est bien, mais on en fait trop. Ce n'est pas la France qui va tout révolutionner», abonde un garagiste qui «aime les belles bagnoles». «Faut dire que sur le parking, il y a quelques Porsche», s'amuse une voix dans la salle.

Une cheffe d'entreprise spécialisée dans «l'aide à la créativité» évoque Manfred Max-Neef, économiste chilien apôtre d'un mode de développement basé sur l'identification des besoins fondamentaux. «Est-ce qu'on ne devrait pas se poser cette question des besoins auxquels on répond ?» propose-t-elle. Sans obtenir de réponses. Derrière son ordinateur, la personne chargée de retranscrire les débats est perdue : «Manfred comment ?»

photos Claire Jachymiak pour Libération