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Libération
A la barre

Nantes : le curé se prenait pour la «banque du Bon Dieu»

A la tête d'une association de dissidents catholiques extrêmes, l’abbé Philippe G. était jugé en fin de semaine pour s’être fait remettre 345 000 euros par une paroissienne qui voulait faire «vœu de pauvreté». Jugement le 4 avril.
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publié le 10 février 2019 à 11h52
(mis à jour le 10 février 2019 à 12h02)

Avec sa soutane noire, Philippe G. ne dépareillait pas, jeudi soir, au milieu des robes des avocats et des magistrats du tribunal correctionnel de Nantes (Loire-Atlantique). L'abbé, âgé de 68 ans, y comparaissait pour «abus de faiblesse» : il est soupçonné d'avoir détroussé une riche paroissienne qui voulait faire «vœu de pauvreté» en 2011. La dame a été exaucée, et même au-delà de ses espérances : en un an, elle a fait «don» de 345 000 euros à l'association cultuelle de Lépante, que préside le prévenu… Emanation locale de la Fraternité Saint Pie V, elle regroupe les «sédévacantistes», c'est-à-dire le courant le plus extrême de la dissidence catholique. Ses adeptes estiment que le siège du pape à Rome est vacant – sede vacante, en latin – et dénient donc toute légitimité à celui qui l'occupe. En guerre contre l'évêché, ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour trouver des lieux de culte.

C'est dans ce contexte que l'abbé G. avait lancé, fin 2011, un appel à ses ouailles pour racheter leur «chapelle du Christ-Roi», un ancien hangar à bois du centre-ville de Nantes, qu'ils louaient depuis trente ans et qu'ils avaient transformée en «bastion de résistance au modernisme». Sa propriétaire, âgée de 97 ans, était décédée en mai de cette année-là. «Savez-vous que vous pouvez tout perdre demain en raison de la crise économique sans précédent que nous traversons ?» demandait-il dans un mail enflammé à «ceux qui possèdent quelques économies en banque». «Je vous exhorte à placer votre argent dans la banque du Bon Dieu, en nous aidant généreusement.»

«Elle était dans l’urgence de racheter ses péchés»

La «banque du Bon-Dieu» avait donc ouvert grand ses portes à Agnès-Marie D. : cette infirmière à la retraite, âgée aujourd'hui de 67 ans, avait hérité d'un grand nombre d'actions de la part de ses parents. «Elle a pratiqué des avortements par le passé, ce qui lui est insoutenable aujourd'hui, tente d'expliquer son avocate, Me Adèle Vidal-Giraud. Elle était dans l'urgence absolue de racheter ses péchés, sous l'influence de l'abbé.» En contrepartie de son «don», sa cliente croyait surtout qu'elle allait être «entretenue» par la communauté sédévacantiste «jusqu'à la fin de sa vie» en tant que «religieuse». «Je voulais faire vœu de pauvreté, mais pas non plus être une clocharde», a insisté jeudi la sexagénaire à l'audience. «Sans ça, je ne l'aurais pas fait : je ne suis pas cinglée non plus !» D'autant plus que le fisc lui réclame à présent 130 000 euros. L'ancienne fidèle a également été «meurtrie» par le fait que l'abbé «n'ait pas eu la décence» de lui dédier une messe, comme c'est d'usage avec les autres «bienfaiteurs» de la paroisse, selon son avocate. Agnès-Marie D. est donc aujourd'hui confrontée à une «honte cuisante», selon son avocate : cet épisode a «décuplé son sentiment de culpabilité – pas au sens pénal du terme, mais au sens chrétien», selon Me Vidal-Giraud.

«Un compte de pauvre»

«Jamais je ne l'ai pressée ou suppliée de faire des dons : elle était toute heureuse de participer à l'achat et à la restauration de la chapelle du Christ-Roi», s'est défendu jeudi l'abbé. Aujourd'hui, la plaignante – qui dit désormais toucher une petite retraite – est toujours «logée gracieusement» dans son ancienne propriété par «charité chrétienne», a-t-il souligné. Le prêtre sédévacantiste a en effet renoncé aux 50 000 euros d'indemnité qu'il comptait initialement lui réclamer pour son «occupation» indue des bâtiments de la communauté… D'ailleurs, lui non plus n'a «aucun revenu» et a «un compte [bancaire, ndlr] de pauvre». Reste que c'est l'association qu'il préside qui a acheté pour son compte un SUV Peugeot 3008 : il fait «5 000 km par mois» pour aller à la rencontre de ses fidèles. L'abbé préside aussi plusieurs sociétés civiles immobilières (SCI) : ce «montage fiscal, tout à fait régulierpermet de récupérer la TVA» sur les travaux des différents bâtiments de sa communauté, a-t-il expliqué. Grâce aux legs, leur communauté a ainsi pu reconstruire à Treillières, près de Nantes, la bien nommée Notre-Dame-des-Dons, une chapelle restée en ruines depuis la Révolution française. Les sédévacantistes ont aussi pu acquérir leur «école de la Providence», à Saint-Sébastien-sur-Loire.

Le curé nantais est surtout à la croisée de «véritables conflits d'intérêts», selon le procureur de la République : parmi les proches de la Fraternité Saint Pie V, un garagiste lui a vendu pour «85 000 euros de voitures en cinq ans», et un artisan a fait payer pour «50 000 euros» des travaux «de pas très bonne facture» qui en valaient plutôt «15 000»… Le parquet de Nantes s'est aussi «posé des questions» sur le cas d'une autre paroissienne, qui avait «donné» 266 000 euros à la communauté, mais dont «l'état de faiblesse» n'a finalement «pas été avéré».

En fin de compte, le procureur a réclamé dix-huit mois de prison avec sursis et une mise à l’épreuve de deux ans pour l’abbé. Le représentant du ministère public veut aussi l’obliger à indemniser la plaignante et lui interdire définitivement d’exercer toute fonction dirigeante dans une association comme celle qu’il préside. La structure, quant à elle, risque une amende de 15 000 euros et la confiscation du Peugeot 3008 qu’elle a acheté pour son curé. Pour l’anecdote, le nom de son association cultuelle de Lépante provient de la bataille navale qui opposa en 1571 la flotte chrétienne de la «Sainte-Ligue» du pape Pie V à celle de l’Empire ottoman. La bataille, qui se solda par la défaite des Turcs (20 000 morts), donna alors un coup d’arrêt à leur politique d’expansionnisme… Jugement le 4 avril.