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Libération
à la barre

Affaire Grégory : Murielle Bolle remporte une nouvelle bataille juridique

La Cour de cassation a confirmé mardi l’inconstitutionnalité de la garde à vue de l’adolescente en 1984, dans l’enquête sur le meurtre du garçon de 4 ans. Une décision qui pourrait fragiliser l’accusation.
Muriel Bolle entourée de gendarmes, à Lépanges-sur Vologne le 7 novembre 1984. (PHOTO JEAN-CLAUDE DELMAS. AFP)
publié le 19 février 2019 à 18h56

Du second volet de «l’affaire Grégory» rejailli au cœur de l’été 2017, il reste surtout une procédure en lambeaux. D’abord, les mises en examen des époux ­Jacob –  respectivement le grand-oncle et la grand-tante de Grégory  – ainsi que celle de Murielle Bolle ont été annulées, en mai 2018, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon pour vice de procédure. Puis, en novembre, le Conseil constitutionnel a fait vaciller une pièce maîtresse de l’édifice de l’accusation  : le procès-verbal de garde à vue de Murielle Bolle datant de 1984.

Saisis par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) des conseils de celle qui était alors une adolescente de 15 ans, les sages ont considéré que le huis-clos violait les droits fondamentaux du mineur, même si ceux-ci n'étaient à l'époque pas inscrits dans la loi (l'information des parents, la présence d'un avocat, le droit à un examen médical ou la notification du droit de se taire). Il appartenait à la Cour de cassation de tirer les conséquences de cette censure. C'est chose faite ce mardi  : elle a confirmé l'inconstitutionnalité de la garde à vue de Murielle Bolle. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris devra maintenant se prononcer sur la question de l'annulation. «Symboliquement, c'est une décision considérable, une véritable déstabilisation du dossier», a réagi Me Jean-Paul Teissonnière, l'avocat de Murielle Bolle auprès de Libération.

Interlude

La pièce qui suscite tant de débats est un procès-verbal de six feuillets, tapé à la machine à écrire et vestige d'un temps où l'on parlait encore de l'«inculpé». Le 2 novembre 1984, celle qui se présente comme une «écolière» et signera ses déclarations d'un «Bolle» à la plume enfantine, est placée en garde à vue. Elle confie alors aux gendarmes que, le jour de la disparition de Grégory, 4 ans, retrouvé noyé pieds et poings liés dans le Vologne le 16 octobre 1984, son beau-frère Bernard Laroche est venu exceptionnellement la chercher en voiture au collège. Puis ils sont passés prendre un petit garçon «avec un bonnet», qu'elle identifiera comme Grégory. Selon ses dires, Bernard Laroche se serait absenté avec l'enfant avant de reparaître seul. Le 5 novembre, Murielle Bolle réitère ses propos devant le juge d'instruction Jean-Michel Lambert. Néanmoins, le lendemain, coup de théâtre : l'adolescente à la frimousse constellée de taches de rousseur se rétracte, dénonçant la pression des gendarmes. «Ils ont élevé la voix», «ils m'ont menacée de me mettre en maison de correction», dit-elle. Elle ajoute : «Bernard, il est innocent.» Elle n'en démordra plus, même après la mort de Bernard Laroche, abattu par Jean-Marie Villemin en 1985 ; même devant le juge Maurice Simon qui reprend le dossier en 1987 ; même au procès de Jean-Marie Villemin en 1993. Et même lors de sa garde à vue de 2017, qui a donc repris après un interlude… de trente-deux ans.

Sauf que cette volte-face est aujourd'hui au cœur de l'enquête  : ne faut-il pas y voir le résultat de pressions familiales lors de la soirée au domicile de Laveline-devant-Bruyères ? La nouvelle thèse esquissée par les enquêteurs depuis que le dossier a ­ressurgi des limbes, en juin 2017, est la suivante : il s'agirait d'un «acte collectif», Bernard Laroche serait le ravisseur, il aurait remis l'enfant aux «cerveaux», les époux Jacob.

Avec la décision de la Cour de cassation, c'est donc tout un pan de l'accusation qui s'effondre. Dans leur arrêt, les hauts magistrats commencent par souligner la légitimité de la garde à vue de Murielle Bolle, notant que le basculement sous ce régime s'effectue en plusieurs auditions, puis insistant sur «l'absence d'intention de nuire aux droits de la défense» de la part des gendarmes. Néanmoins, ils considèrent que ce huis-clos doit être annulé car il «a été effectué en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles». En revanche, la plus haute juridiction judiciaire a écarté toutes les autres demandes de la défense : elle s'est notamment refusée à déclarer le juge Maurice Simon partial ou encore à invalider l'arrêt de non-lieu délivré au bénéfice de Christine Villemin le 3 février 1993 par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Dijon.

Confidences

Désormais, il appartiendra donc à la cour d'appel de Paris de se prononcer sur l'annulation et de dresser l'inventaire des «actes subséquents» de procédure qui pourraient être concernés. Une pièce ne manquera pas de cristalliser les débats  : l'interrogatoire de Murielle Bolle par le juge Lambert le 5 novembre 1984, lorsqu'elle réitère ses confidences passées en garde à vue. «Nous avons une conception très large des actes qui peuvent être touchés  : tous ceux qui n'auraient pas existé s'il n'y avait pas eu de garde à vue», explique Me Teissonnière.

De son côté, Me Thierry Moser, l’avocat des époux Villemin, s’est voulu confiant dans son communiqué : «L’arrêt de ce jour ne va pas entraver de façon significative la recherche de la vérité s’agissant des causes et circonstances de l’assassinat de Grégory.» Il ne voit dans «cette bataille procédurale initiée par Murielle Bolle» qu’un «but dilatoire».