Menu
Libération
Analyse

L’antisionisme, notion sous influence

Emmanuel Macron s’est opposé à la proposition de députés qui entendaient pénaliser ce courant de pensée instrumentalisé au fil du temps, notamment par la mouvance Soral-Dieudonné.
A Paris, le 19 février. (Photo Boby pour Libération)
publié le 19 février 2019 à 20h36

De quoi l'antisionisme est-il le nom ? Désigné comme «synonyme de l'antisémitisme» par le Premier ministre Manuel Valls en mars 2016, et comme sa «forme réinventée» par Emmanuel Macron en juillet 2017, ce courant de pensée devrait être pénalisé au même titre que la haine des juifs, a récemment estimé le député LREM Sylvain Maillard. La proposition a pourtant suscité l'embarras de la majorité, puis l'opposition, mardi, du chef de l'Etat lui-même. De quoi contredire l'idée d'une parfaite équivalence des deux termes. Et souligner la complexité d'un concept à la définition flottante, parfois mis au service du discours antisémite sans pouvoir y être catégoriquement réduit.

Contemporain des débuts du sionisme, le premier antisionisme émane de communautés juives, rappelle Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès : «Certaines le font pour des raisons religieuses, estimant qu'il ne peut y avoir d'Etat juif avant l'avènement du Messie, ou redoutant de le voir aux mains des partisans de la réforme religieuse.» Ces courants subsistent à ce jour, à l'image de l'importante communauté hassidique de Satmar. Une autre critique du sionisme, laïque, est portée par des cercles socialistes juifs d'Europe de l'Est tels que le Bund : au retour en Israël, ceux-ci opposent un projet d'émancipation des juifs là où ils se trouvent.

La création de l’Etat d’Israël en 1948, et le statut rapidement acquis de puissance régionale, conduisent à une reformulation de l’antisionisme.

La prise de contrôle des territoires palestiniens à l'issue de la guerre des Six Jours nourrit un courant international de critique d'Israël. Sans toujours remettre en question son existence, celui-ci réclame le retour dans les frontières de 1967 et l'arrêt de la colonisation des territoires occupés. Soit un antisionisme qui, encore à ce jour, «consiste à critiquer la politique d'Israël selon ce que certains considèrent être leur liberté d'expression», selon les mots du secrétaire d'Etat Laurent Nuñez, interrogé mardi à l'Assemblée.

Source

Ces événements sont cependant mis à profit par une partie de l'extrême droite, qui exprime en termes nouveaux son antisémitisme traditionnel. Pionniers français du négationnisme, Maurice Bardèche puis François Duprat se font «antisionistes». Le second, cadre dirigeant du Front national dans les années 70 et authentique néofasciste, fondera ainsi un «Rassemblement pour la libération de la Palestine». Dans les années 90, c'est le mouvement d'extrême droite GUD qui fait sien le slogan : «A Paris comme à Gaza, Intifada». L'adoption de lois punissant le racisme et l'antisémitisme encourage cette stratégie, qui diminue (sans tout à fait l'annuler) le risque légal et brouille les frontières partisanes. En 2009, c'est une «Liste antisioniste» que présentent, aux élections européennes, les polémistes antisémites Dieudonné et Alain Soral, associés à plusieurs syndicalistes et membres de mouvements de gauche.

En parallèle, les tensions proche-orientales nourrissent l'hostilité envers Israël dans le monde musulman et les milieux propalestiniens occidentaux. Sentiment pouvant, dans certains cas, déboucher sur l'idée d'une responsabilité collective des juifs, soupçonnés de solidarité inconditionnelle avec l'Etat d'Israël, comme l'a illustré, samedi à Paris, la prise à partie d'Alain Finkielkraut. L'académicien s'est vu, aux cris de «Palestine» et de «sioniste de merde», invité par des gilets jaunes à «rentrer chez [lui] en Israël». Droite et extrême droite veulent voir dans cet antisionisme dévoyé la source principale de l'antisémitisme contemporain, à l'image du député UDI Meyer Habib, qui a dénoncé mardi «un antisémitisme arabo-musulman sur fond d'islamo-gauchisme».

Hésitations

Ces tendances ont conduit, ces dernières années, plusieurs personnalités politiques à assimiler antisionisme et antisémitisme - une interprétation encouragée par le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. Ce qui a suscité de nombreuses critiques au nom de la liberté d'expression. L'entreprise est d'autant plus délicate qu'«il n'existe pas de définition canonique de l'antisionisme, entre simple critique de la politique israélienne ou négation du droit d'Israël à exister : chacun le caractérise selon son intérêt», constate Jean-Yves Camus.

De quoi éclairer les hésitations du gouvernement face à ce sujet : «Nier le droit d'Israël à exister est évidemment inacceptable. Faut-il pour autant prendre une loi qui pourrait laisser entendre que critiquer la politique [d'Israël] pourrait être assimilé à un délit ?» s'est questionné mardi, embarrassé, le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand. Redoutant qu'une telle initiative ne «nuise à la juste cause qu'est la lutte contre l'antisémitisme».