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Fiscalité du capital : et maintenant, les «contreparties» ?

La suppression de l'ISF et l'instauration d'une flat-tax ont finalement «coûté» 3,5 milliards d'euros au lieu des 4,5 milliards attendus. Pas une raison pour moins en demander aux plus fortunés.
Lors d'une manifestation à Marseille, le 2 juin 2016. (Photo Anne-Christine Poujoulat. AFP)
publié le 21 février 2019 à 15h11

On connaît donc le vrai «coût» des «cadeaux» fiscaux d’Emmanuel Macron aux plus riches : 3,5 milliards d’euros. Le gouvernement s’attendait à perdre 4,5 milliards en impôts rendus aux plus fortunés, ce sera donc un milliard de moins que prévu. Pourquoi ce changement ? Parce que, d’une part, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), successeur de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), a rapporté 400 millions d’euros de plus qu’attendu. Et que le prélèvement forfaitaire unique (PFU) – qui impose désormais à 30% tous les revenus du capital (hors livrets A, PEA et certains contrats d’assurance-vie) – a permis de faire entrer 600 millions d’euros supplémentaires dans les caisses de l’Etat.

Un milliard non prévu revenant à la collectivité, c’est une bonne nouvelle. Même si, rappelons-le, le seul ISF rapportait en 2017 plus de 4 milliards d’euros… Mais pourquoi ces deux nouveaux prélèvements (IFI et PFU) ont-ils été plus efficaces que les prévisions de Bercy annexées à la loi de finances pour 2018 ? D’un côté, il est fort possible qu’avec un impôt sur la fortune exclusivement appliqué aux biens immobiliers, les riches propriétaires aient été beaucoup plus précautionneux dans la déclaration des valeurs de leurs maisons et appartements. De l’autre, si le PFU a autant rapporté (3,45 milliards d’euros en comptant l’ensemble des prélèvements forfaitaires obligatoires, au lieu des 2,88 milliards escomptés par Bercy), c’est aussi parce que les actionnaires n’ont jamais été aussi bien servis. S’ils ont payé plus d’impôts en 2018 (mais toujours moins qu’en 2017), c’est que ces riches contribuables ont profité de versements records de dividendes cette année : 57,4 milliards d’euros (+12,8% sur un an) pour les entreprises françaises du CAC 40 et 1370 milliards de dollars (+9,3%) pour l’ensemble des firmes mondiales.

Une évaluation pour septembre ?

D'où une question démocratique légitime toujours sans réponse : que vont faire ces contribuables très fortunés de leurs 3,5 milliards d'euros ? En 2017, pour justifier sa réforme, le gouvernement avait pointé le «besoin en capital» des entreprises françaises et expliqué que cet argent ainsi reversé allait permettre de «soutenir l'activité», de «financer l'économie réelle» et permettre de redorer le blason de «l'attractivité» française pour plus «d'investissements sur notre territoire». Mais pour l'instant, on n'en sait rien. Les vannes ont été ouvertes mais on ne sait pas si les tuyaux amènent bien l'argent là où l'économie en a besoin. Ou plutôt si, on sait deux choses : la croissance ne semble pas en avoir profité (le PIB a crû de 1,5% en 2018 au lieu des 2% attendus) et les dons aux associations, que ces contribuables pouvaient déduire de leur ISF, ont baissé. Certaines d'entre elles disent avoir perdu presque 50% de leurs «dons ISF».

On devrait savoir cet automne si les entreprises françaises ont bénéficié de cette épargne «libérée» par la suppression de l'ISF et la mise en place de cette flat-tax sur les revenus du capital, ou si cet argent a été placé par les plus riches sur des placements plus sûrs. Le comité d'évaluation mis en place fin décembre par Matignon est censé remettre un premier rapport fin septembre, avant la présentation du projet de loi de finances pour 2020. L'occasion de constater si ce «ruissellement» a fonctionné. Dans le cas contraire, on pourra toujours rappeler au Premier ministre sa déclaration du 19 février à l'Assemblée nationale sur les «droits et les devoirs» et les «contreparties» à demander lorsque l'Etat aide les plus vulnérables : «C'est vrai pour ceux qui bénéficient des versements de la solidarité nationale, […] c'est vrai pour tous les acteurs économiques, pour tous les acteurs d'une République.» Y compris, donc, les plus riches.