«Bernard Squarcini était mon patron. Il est parti mais il restait toujours une pointure du renseignement. Il continuait à aimer ça. Je le consultais, ainsi que beaucoup d'autres qui continuaient à le consulter, car il avait toujours des renseignements.» Ainsi s'exprime un flic de la DCRI (future DGSI, Direction générale de la sécurité intérieure), également mis en examen pour «compromission du secret défense, violation du secret professionnel, collecte frauduleuse de données.» L'un des anciens collègues que «le Squale», reconverti dans le privé, continuait à solliciter comme s'il demeurait le boss en place. A la bonne franquette, à l'ancienne. Mais tout en précisant, histoire de se couvrir : «La hiérarchie était au courant puisqu'elle se doutait bien que je criblais les individus dont me parlait Bernard Squarcini.» Avant d'ironiser : «J'avais suggéré qu'on l'immatricule comme source.»
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Le Squale n'est ni le premier ni le dernier haut fonctionnaire à monnayer dans le privé son carnet d'adresses constitué lors de son parcours public - les anciens flics s'en faisant toutefois une spécialité. Mais à quoi bon rémunérer un ancien taulier de la maison poulaga ? Les prestations tarifées de Kyrnos Conseil, la PME de Squarcini, donnent un large éventail des interventions possibles. Avec une constance : la consultation rétrospective des fichiers de police. Comme Cristina, un fichier classé secret défense, décrit ainsi par cette âme damnée du Corse : «Quand on tape un nom, s'il est connu, son dossier sort et tous les noms en lien. A partir de là, on peut taper les autres noms, et petit à petit, on finit par cerner l'environnement de l'individu.»
Tartufferie
En 2014, Squarcini s'émeut ainsi du sort d'un agent à l'aéroport de Roissy, «défavorablement connu au criblage DCRI», pour cause d'un précédent vol, de facto privé de badge d'accès. Sollicité, l'ex-espion intervient, car il n'y a pas de petits profits lorsqu'il s'agit de s'assurer des obligés. Question des enquêteurs au Squale en garde à vue : «On comprend que grâce à vous il aura son habilitation ?» Souveraine réponse du ponte : «Effectivement, mais je n'en ai aucun souvenir. C'est une démarche de pure facilitation.» Avant de concéder, assumant pleinement sa tartufferie : «En tant que directeur de la DCRI, j'aurais au contraire déshabilité une telle personne.»
Un poil plus haut de gamme, il s'agit parfois de cribler un potentiel dirigeant d'une filiale italienne de Veolia. Campant toujours sur son imperium : «Effectivement, je suis lié contractuellement avec Veolia. N'ayant pas de contact en Italie, j'ai sous-traité cela»… à un autre policier reconverti dans le privé. Outre la consultation plus ou moins sauvage de divers fichiers, par anciens collègues interposés, il est reproché à Bernard Squarcini d'avoir conservé une vaste documentation policière - des notes blanches et autres procès-verbaux appartenant théoriquement à l'Etat. Il s'en explique, tranquillement : «A la DCRI, j'occupais deux bureaux contigus. Lorsque M. Hollande a été élu président de la République, je commence à préparer mes cartons […]. J'ai obéi à l'ordre de déguerpir, j'ai tout emmené en vrac. Il n'y avait ni intention de diffuser les documents, ni de les vendre, ni je ne sais quoi d'autre.»
Ragots
Quand à la détention de l’enquête pénale visant Jean-Noël Guérini, ancien président (PS) du conseil général des Bouches-du-Rhône, c’est un journaliste qui lui aurait remis en mains propres. Et sur ses prestations tarifées pour LVMH (où il bénéficiait de locaux au siège de la firme), en pleine bagarre boursière contre Hermès, Squarcini peut se retrancher derrière un autre ancien grand flic préalablement recruté par le groupe de luxe.
Restent ces tambouilles étrangères, dans tous les sens du terme. Cette obsession à collecter des infos ou ragots sur divers oligarques russes ou kazakhs plus ou moins bien en cour. Pour l'un d'entre eux, le Squale militera pour que sa fiche S [pour sûreté de l'Etat, ndlr] soit expurgée. Par amour du drapeau tricolore ?