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Libération
Éditorial

Fractures

publié le 24 février 2019 à 20h46

A trois semaines de son terme, il est difficile de ne pas considérer le grand débat imaginé par Emmanuel Macron comme un exercice réussi. Le voyage effectué pendant dix jours par Libération confirme, de Wasquehal à Carcassonne en passant par Château-Thierry ou Tournus, que les Français ont répondu présents pour parler ici pouvoir d'achat, là fiscalité, ici écologie, là démocratie… A quelques dizaines, parfois moins, parfois plus. Ils ne se sont pas contentés de poster des contributions sur le site du grand débat. Ils y ont participé «en vrai». Comment s'en plaindre ? L'initiative du Président n'était pas dénuée de calcul. De ce point de vue, c'est pour lui également un pari réussi. Même si le mouvement des gilets jaunes perdure, il s'est au fil des semaines à la fois essoufflé et abîmé. Emmanuel Macron, qui a repris des couleurs dans les sondages, aurait pourtant tort de pavoiser. Un commentaire entendu lors de notre périple attire l'attention. C'était à Lyon : «Le peuple qui a faim n'est pas là. […] Là, ce sont des gens qui savent que le peuple les menace. Alors ils réfléchissent et cherchent des solutions pour ne pas tout perdre.» Excessive dans son pessimisme sur le profil des participants aux débats, un brin complotiste sur leurs intentions, cette phrase est une piqûre de rappel utile sur les fêlures à l'œuvre dans la société française. Elles sont à l'origine du déclenchement du mouvement des gilets jaunes. Et ce n'est pas le grand débat, succès ou pas, qui permettra de les réparer, mais les décisions qui seront prises après. Elles devront être inventives et surtout audacieuses pour réduire les fractures sociales et territoriales, lever le grand doute démocratique qui s'est emparé du pays et relever le défi écologique. Le risque qui guette Emmanuel Macron ? Se voir à nouveau trop beau, trop fort dans le miroir, peut-être déformant, d'un grand débat réussi.