Pour le maire de Calenzana, un village de près de 2 300 habitants situé sur les hauteurs de Calvi, «c'est presque un miracle : l'incendie n'a fait aucune victime et aucune habitation n'a été détruite». Après un week-end de feu et d'angoisse, l'heure des comptes a sonné pour Pierre Guidoni et ses administrés. En quelques heures, les flammes attisées par un vent violent ont ravagé près de 1 300 hectares de végétation, consumant chênes, pins et maquis.
Dans le paysage lunaire de cendres et de fumerolles, les habitants inspectent les dégâts. «Nous avons eu très peur, vu l'endroit d'où le feu est parti et les conditions météorologiques, ça aurait pu être catastrophique, persiste le premier magistrat de la commune. Le feu est passé très près des maisons, les sapeurs-pompiers ont été très réactifs, ils ont fait un travail extraordinaire.» L'incendie de Balagne a nécessité la mobilisation de moyens très importants : 150 pompiers, militaires et sapeurs forestiers, ont été déployés au sol ; deux Canadair et deux avions bombardiers d'eau ont été envoyés en appui dans les airs. Le tout dans des conditions très défavorables, et alors que les casernes de l'île disposent d'effectifs bien moins nombreux qu'en saison estivale.
«Réchauffement»
Si l'incendie de Calenzana - le plus important et le plus dangereux de ces derniers jours - a été stabilisé lundi en milieu de journée, les pompiers n'auront pas de répit pour autant. Entre samedi et dimanche, près de 50 départs de feu ont été enregistrés dans les deux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse. Du cap Corse à l'Ornano, dans le sud de l'île, en passant par les montagnes de Ghisoni, dans le Nord, les foyers se sont multipliés, obligeant les services de secours à prioriser leurs interventions. Une situation compliquée, à laquelle il faudra sans doute s'habituer dans la région, selon la préfète, Josiane Chevalier. Lors d'un point presse organisé dimanche après-midi à Ajaccio, la plus haute représentante de l'Etat dans l'île a pointé «le réchauffement climatique» comme l'une des explications probables aux incendies hivernaux qui se multiplient depuis quelques années. D'après elle, les conditions météorologiques «assez particulières» du week-end sont en cause dans la série de départs de feu : «Des vents violents, pouvant dépasser localement 90 km /h, mais aussi un sol très sec en raison de l'absence de précipitations récentes. Ce qui nous vaut actuellement un taux d'humidité très bas, d'environ 8 %, qui s'avère donc inférieur aux valeurs que l'on est susceptible de relever en été.»
Au mois de janvier 2018, une série d'incendies s'était déjà déclarée dans des circonstances similaires. A l'époque, plusieurs bergers et éleveurs avaient perdu une partie de leurs troupeaux et vu leurs exploitations agricoles sérieusement endommagées par les flammes dans les villages de Chiatra, Cervione et Sisco (Haute-Corse). Le climat n'est cependant pas seul en cause et les comportements «inappropriés et imprudents» des particuliers ont eux aussi été pointés du doigt par l'autorité préfectorale. Plusieurs enquêtes ont notamment été ouvertes pour déterminer la cause des nombreux départs de feu de ce week-end, et «il ressort à ce stade des éléments qui ne portent que sur des origines accidentelles ou des écobuages mal maîtrisés en Corse-du-Sud», selon le général Jacques Plays, commandant de la légion de gendarmerie de Corse. Idem en Haute-Corse où ces débroussaillements par le feu sont en cause dans la majorité des cas.
«Acte criminel»
Seule exception, le gigantesque incendie de Calenzana, pour lequel les enquêteurs sont plus réservés. Le maire de la commune de Balagne ne cache d'ailleurs pas sa colère, persuadé «qu'il s'agit d'un acte criminel». «Le feu s'est déclaré à 19 h 45 sur une piste peu fréquentée. A cette heure et à cet endroit, personne ne fait d'écobuage ni de barbecue. Pour moi, il est évident que quelqu'un a mis le feu volontairement», s'emporte Pierre Guidoni. Il a annoncé son intention de déposer plainte dans les prochains jours.