Pour Jean-Dominique Simonpoli, coauteur de l'ouvrage le Dialogue social en France : entre blocages et big bang (Odile Jacob, 2018), le paritarisme est à un tournant. Ce spécialiste des questions sociales, directeur général de l'association Dialogue, insiste sur la nécessité d'inventer une «forme de coopération nouvelle».
A lire aussi Assurance chômage : cadres, à vous !
Après dix séances de discussions, la négociation entre syndicats et organisations patronales réclamée par l’Etat en vue de réformer l’assurance chômage a échoué. Tous les acteurs se renvoient la balle. Qui est fautif ?
Il y avait un problème dès le départ : Emmanuel Macron a esquissé une feuille de route très contraignante pour les partenaires sociaux en leur demandant des économies drastiques. Et aujourd’hui, il pointe leur responsabilité. En somme, il dit : «Je leur ai prêté les clés du camion et ils n’ont pas réussi à le démarrer.» C’est un peu facile, car les syndicats et le patronat étaient dans une nasse dont ils ne pouvaient sortir. A se demander si on ne les a pas poussés vers un échec pour ensuite les vilipender et décrier leur représentativité… Certes, en matière d’assurance chômage, il y a toujours eu un ménage à trois entre les syndicats, les organisations patronales et l’Etat. Un pas de plus avait déjà été franchi avec la modification du financement de l’assurance chômage et le remplacement des cotisations sociales par de l’impôt, avec la CSG. Là, on a le sentiment que les pouvoirs publics ont voulu reprendre la main.
Sans attendre, le Medef a dit envisager de quitter toutes les instances paritaires. Etonnante stratégie de défense du paritarisme…
Ces dernières années, le patronat a évolué. Il considère désormais que les grandes messes interprofessionnelles de la belle époque du dialogue social sont révolues. Le nouveau patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, ne s’en cache pas. Il a d’ailleurs été élu pour remettre tout cela à plat. Pour lui, il n’y a plus besoin de grands accords interprofessionnels, car les branches et les entreprises doivent être les lieux centraux de la négociation. De la même manière, le Président pense que les syndicats sont seulement utiles dans les entreprises, voire au niveau de la branche. Et qu’à l’inverse, tout ce qui relève de l’intérêt général doit revenir à l’Etat.
Et les syndicats ?
Ils sont conscients de la nécessité de refonder le paritarisme. Toutefois, ils ont chacun des visions différentes. Certains doutent de l’intérêt de s’engager dans le paritarisme, car ils pensent qu’ils perdent trop de temps dans la négociation et ne sont pas assez proches des salariés. Mais tous admettent qu’on est dans une nouvelle période. Ils savent aussi que cet échec sur l’assurance chômage risque de conforter l’image négative des syndicats. D’autant que la question de leur représentativité se pose également au travers d’autres événements : le mouvement des gilets jaunes par exemple, dont ils sont absents, la baisse de la participation aux élections professionnelles… Tout cela devrait les inciter à s’interroger sur leur capacité à mobiliser. Après le dégagisme en politique, on n’est pas à l’abri d’un dégagisme syndical. Mais ce moment peut être assez positif pour le syndicalisme, s’il arrive à réagir pour retrouver son rôle essentiel.
Le paritarisme interprofessionnel peut donc encore être sauvé ?
Le paritarisme n’est pas mort, mais il pourrait devenir tout à fait différent. A condition qu’il y ait une véritable volonté du côté patronal et une unité des syndicats. Pour l’instant, on en est loin. Or il y a un réel danger à abandonner le niveau interprofessionnel et à cantonner le rôle des corps intermédiaires à l’entreprise. C’est un pari dangereux pour la démocratie. Les accords interprofessionnels ont vécu longtemps, et ces dispositifs ont marqué la réalité sociale de notre pays. Parce qu’ils avaient justement été construits ensemble, entre le patronat et les syndicats, ils ont eu une influence réelle sur la situation des salariés. En renvoyant tout aux entreprises, la solidarité risque d’être balayée. Là où il y a des syndicats forts, les salariés s’en sortiront. Ailleurs, ils risquent d’être affaiblis.