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Décryptage

Européennes : Avec Aubry, Bardella et Bellamy, on prend les mômes et on se relance

Les leaders de LFI, du RN et de LR ont choisi de propulser de jeunes pousses comme têtes de liste pour le scrutin de mai. Façon pour eux de ne pas s’abîmer avant 2022, tout en gardant le contrôle.
Manon Aubry lors de la présentation des candidats de la liste La France insoumise pour les européennes, à Paris le 14 janvier. (PHOTO DENIS ALLARD)
publié le 27 février 2019 à 20h36

Moins de 100 ans à eux trois. Manon Aubry (29), Jordan Bardella (23) et François-Xavier Bellamy (33) mèneront le 26 mai les listes LFI, RN et LR aux européennes. Autant de cartes jeunes aux avant-postes, c’est inédit dans ce scrutin qui a longtemps servi à recaser ceux qui s’étaient cassé les dents dans des élections nationales. Mais aujourd’hui, si ces juniors sont poussés sur le devant de la scène, c’est d’abord parce que les Mélenchon, Le Pen et Wauquiez préfèrent rester au chaud pour ne pas risquer de s’abîmer d’ici la présidentielle de 2022. Au Palais-Bourbon pour les deux premiers - précédemment élus à Strasbourg. Et dans son hôtel de région pour le troisième, que bien des ennemis dans sa famille politique poussaient à conduire la liste lui-même. Les trois aînés seront toutefois au premier rang de la campagne, quitte à compliquer la tâche des plus jeunes en vampirisant leur émergence.

Face à ce casting incarnant le renouvellement - même si Bardella n’est pas tombé hier dans la marmite lepéniste et que Bellamy est élu local à Versailles -, la macronie semble partie pour jouer, en contre, la carte de l’expérience ou, a minima, de la maturité. Alors que les noms de Nathalie Loiseau, la ministre des Affaires européennes, ou plus hypothétiquement d’Agnès Buzyn, celle de la Santé, tournent ces temps-ci dans les gazettes, la tête de liste adoubée par Macron ne sera connue que fin mars ou début avril.

Pour ce qu’elles valent à trois mois du scrutin - et alors que l’équation politique, notamment à gauche, n’est peut-être pas consolidée -, toutes les enquêtes d’opinion placent LREM en tête des intentions de vote, devançant de plus en plus nettement le Rassemblement national, lequel avait fini en tête lors des précédentes européennes, en 2014.

Ce duo est suivi de loin par un trio, composé dans le désordre de LR, d’EE-LV (Yannick Jadot) et de LFI. Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) ferme, lui, la marche des listes flashée régulièrement dans les sondages au-dessus de 5 %, le seuil pour faire entrer un député au Parlement européen. En l’état, la liste du PS (Olivier Faure) et celle de Génération·s (Benoît Hamon) n’en sont pas et risquent le grand flop. Chacun peut toutefois se rassurer en se répétant que la campagne n’a pas commencé. Pas officiellement.

Jonathan Bouchet-Petersen

François-Xavier Bellamy lors d’un meeting à Versailles, où il est élu, le 9 février.

(Photo Marc CHAUMEIL)

François-Xavier Bellamy (LR): jeune et bien à droite

François-Xavier Bellamy le reconnaît bien volontiers. «Je n'étais pas destiné à cette candidature», c'est-à-dire à prendre la tête de la liste LR aux élections européennes, a-t-il déclaré mardi sur France Info. En désignant cet agrégé de philosophie, adjoint au maire de Versailles, Laurent Wauquiez, le patron de LR, accédait à la demande de rajeunissement et de renouvellement formulée par ses troupes, et notamment les jeunes députés élus en 2017 en pleine débâcle de la droite - demande d'autant plus criante que les sortants Dati-Hortefeux-Morano ont été reconduits.

Mais Wauquiez, qui a fait une campagne très à droite pour décrocher la présidence du parti, a surtout démontré par ce casting qu'il ne comptait pas infléchir d'un iota sa ligne à droite toute. Un choix loin de faire l'unanimité au sein de LR. Même si la commission d'investiture du parti a approuvé sans moufter l'option défendue par Wauquiez. «Je ne suis pas sûr qu'il présente le bon profil pour reconquérir notre électorat de droite plus populaire qui s'est détourné de nous déjà depuis un bon moment», se désole un député. Certains redoutent même que le choix de ce profil très typé ne fasse passer la liste LR, régulièrement sous les 10 % dans les sondages, derrière celle de Nicolas Dupont-Aignan.

François-Xavier Bellamy, 33 ans, passé dans son jeune temps chez les très catholiques Guides et Scouts d'Europe, présente un profil BCBG et très conservateur sur les questions sociétales. Il a participé à la Manif pour tous et a rappelé son hostilité «à titre personnel» à l'avortement sans qu'il soit question pour lui «à aucun moment de revenir sur la loi Veil». Alors qu'il a choqué jusque dans son camp, Bellamy a revendiqué une position dictée par sa conscience et conforme à ses convictions chrétiennes.

Mais derrière ce profil de droite «versaillaise» un peu caricatural, Bellamy - qui se revendique plus proche des thèses de Macron que de Le Pen - se caractérise surtout par son amour du débat d'idées, qui «peut redonner du sens à notre vie collective». Il appartient à cette nouvelle génération de droite fière de son identité politique mais qui n'hésite pas à aller puiser des idées au-delà de son camp. Créateur des «soirées de la philo» en 2013, ce proche de Hubert Védrine n'hésite pas à convoquer lors de ces conférences Michel Onfray ou Alain Finkielkraut, ou à saluer les propos du patron de la CFDT ou l'action d'un José Bové. En cas de contre-performance dans les urnes, Wauquiez se verra, lui, reprocher une erreur de casting.

Christophe Forcari

Jordan Bardella (RN): jeune et Interchangeable

Pour occuper le haut de son affiche aux européennes, rôle qu'elle a endossé avec succès en 2014, Marine Le Pen ne voulait surtout pas d'une tête qui dépasse. Des fois qu'on oublie que la vraie patronne de la campagne, c'est elle. Alors la présidente du Rassemblement national (ex-Front national), cette fois dernière de la liste et donc en position non éligible, a choisi comme numéro 1 quelqu'un de peu connu, peu bruyant, pas vraiment dangereux pour son leadership. Jordan Bardella, 23 ans, occupe parfaitement le poste : discret au cours de ses déplacements, précis dans son usage des éléments de langage, agressif et généreux en fake news sur les plateaux de BFM TV… Une sorte de premier de la classe d'extrême droite. «Ça répond au cahier des charges de Marine Le Pen. Bardella est dans un rôle de pantin», résume un cadre de la formation mariniste.

Le problème, c'est que - revers de la médaille - le jeune homme imprime peu. Même au sein du Rassemblement national. Dimanche, lors d'une réunion publique à Caudry (Nord), l'idéologue d'extrême droite Hervé Juvin, en cinquième position sur la liste, n'est tout bonnement pas parvenu à se souvenir du nom de son chef de file, «Jordan Marnella». Le jeune homme s'est vexé, forcément.

Bardella le dit lui-même, il a été choisi parce qu'il a «grandi en banlieue, que sa mère habite en HLM», et donc qu'il «représente l'origine modeste et la fibre sociale» que revendique le Rassemblement national. Il a adhéré au FN à l'âge de 16 ans, mais c'est auprès de Florian Philippot, énarque très bon en com, que le natif de Seine-Saint-Denis a fait ses gammes politiques : l'ancien numéro 2 du FN, aujourd'hui à la tête des Patriotes, l'a même envoyé faire son premier plateau de télé, à 18 ans, sur BFM TV. Une éclosion précoce suivie d'une ascension éclair.

Et si Jordan Bardella a été la première tête de liste dont le nom est sorti dans la presse, en novembre, bien avant ses concurrents des autres partis, ce n’est pas seulement dans le but que la seule présence du jeune homme, bien qu’inconnu du grand public, ringardise les autres. C’est aussi, et même surtout, pour que son nom ait le temps d’imprimer, un peu mais pas trop.

Tristan Berteloot

Manon Aubry (LFI): jeune et pas sectaire

En décembre, dans les locaux de La France insoumise, quelques heures avant d'être désignée tête de liste pour les européennes, Manon Aubry tentait de nous expliquer les raisons qui ont poussé Jean-Luc Mélenchon à lui filer les clés du camion : «A mon avis, ça témoigne d'une crise de la représentation politique ; les gens veulent des nouvelles têtes. Ça prouve surtout que les sujets que je maîtrise, l'évasion fiscale et la lutte contre les inégalités, sont au cœur des débats.»

L'ex-porte-parole d'Oxfam est reconnue dans le milieu associatif et humanitaire. Elle est jeune (29 ans). Elle s'adresse à un public qui dépasse les frontières supposées du territoire LFI. Et, contrairement aux chefs insoumis, elle a de nombreux copains à gauche, notamment au sein de Génération·s, de Place publique et d'EE-LV. Le profil idéal. Résultat : ils guettent tous son arrivée dans l'arène politique avec un large sourire. «On ne sera pas ensemble pour les européennes, mais après le scrutin tout sera ouvert», rêve Raphaël Glucksmann.

La Varoise ne se projette pas aussi loin. Depuis sa nomination, elle arpente le pays avec Manuel Bompard - second sur la liste - alors que la campagne n'a pas vraiment débuté. Un entre-deux idéal pour se roder avant de plonger dans le vif du sujet. Aujourd'hui, lorsqu'on lui demande un mini-bilan de sa vie en tête de liste, elle regarde du côté des médias. «C'est frustrant, je suis souvent invitée sur les plateaux télé et radio et on ne parle jamais du fond des choses. Je passe mon temps à commenter les faits divers, les phrases des uns et des autres ou bien à prouver que je ne suis pas antisémite. C'est absurde», dit-elle. Puis : «Plusieurs journalistes me parlent de Mélenchon. Il demande de ses nouvelles mais ils peuvent l'appeler pour lui demander, je ne suis pas sa potiche !»

Le combat des européennes s'annonce rude. LFI est en baisse dans les sondages malgré la naissance des gilets jaune. Qu'importe, elle y croit. Et surtout, le choix est mince. La bonne idée ne doit pas se transformer en erreur de casting. Pour le moment, les têtes pensantes insoumises ne paniquent pas. «On multiplie les meetings mais on sait que tout se jouera lors des dernières semaines», disent-ils. En attendant, Manon Aubry a reçu quelques conseils, notamment ceux de Mélenchon. Tous lui répètent de ne pas se transformer en insoumise pure souche, de «garder sa fraîcheur et sa liberté» afin de rassembler le plus grand nombre. Un député : «Pour convaincre les insoumis, on aurait pris un insoumis en tête de liste. Avec Manon, on cherche à élargir notre base.»

Rachid Laïreche