Depuis le 16 janvier, date de l'annonce de la liquidation judiciaire, «il n'y a rien eu», râle une salariée de Arjowiggins Security qui emploie 240 salariés, dont une large majorité à l'usine de papier de Jouy-sur-Morin (Seine-et-Marne). Après six semaines à camper, nuit et jour, devant le site, les «Arjo» désespèrent de se faire entendre. Dès les premiers jours de leur mobilisation, ils avaient pourtant tapé fort, en commençant à brûler leur stock de papier destiné notamment à l'administration française, pour produire les cartes grises. Les médias s'étaient alors pressés autour de ce feu de camp. Depuis, «on ne parle plus trop de nous, regrette un autre salarié. Pourtant, on en a brûlé des bobines : du papier destiné à fabriquer des billets mexicains, israéliens, algériens, mais aussi des chèques de banque et du papier pour les passeports français».
«Monnaie d’échange»
Jeudi dernier, leur lettre de licenciement est arrivée par la poste. Pôle Emploi est aussi venu à leur rencontre, pour les aiguiller dans leurs démarches. Mais l'«Etat, lui, ne nous a toujours pas répondu, peste une troisième employée. On est toujours dans l'impasse». Alors, pour attirer l'attention, ils sont une cinquantaine, ce mercredi, à s'être déplacés à Paris, devant le ministère de l'Economie, pour distribuer une partie des «dernières cartes grises françaises». Soit l'équivalent du «besoin annuel d'un département», précise l'un d'eux, refusant de préciser le niveau de stock restant à l'usine. Dans leurs mains, des feuilles de papier gravées du symbole de la République sur lesquels les Arjo ont pris soin de noter «non conforme». «C'est notre monnaie d'échange, pointe un autre. Personne d'autre en France ne sait fabriquer ce papier nécessaire à l'Etat.»
Ce mercredi, leur mobilisation paye déjà un peu : le ministère de l'Economie accepte de recevoir une délégation. «Il faut que le gouvernement nationalise la boîte ou qu'ils trouvent un repreneur», fulmine un salarié peu avant ce rendez-vous. Un autre veut croire qu'un projet de reprise par les salariés puisse être possible : «On a un projet alternatif avec de nouveaux marchés. On pourrait faire du papier écologique, par exemple. Ça fait plus de deux ans qu'on l'a présenté aux services de l'Etat et à la préfecture.»
Nationalisation temporaire
Les salariés réclament aussi un geste financier. «On sait qu'on n'aura rien de notre employeur puisque c'est une liquidation. C'est l'[Association pour la gestion du régime d'assurance des créances des salaires] (AGS) qui va prendre le relais. On va pas avoir grand-chose. L'Etat doit payer. D'autant qu'il est en partie responsable : on a été racheté, il y a neuf mois, par un fonds d'investissement et c'est l'Etat [au travers du Comité interministériel de restructuration industrielle, qui dépend du ministère de l'Economie, ndlr], qui a donné le feu vert à cette reprise. S'ils avaient fait les contrôles nécessaires, ils auraient vu que c'était une coquille vide, que cette entreprise n'était pas sérieuse.»
Aujourd'hui, les salariés réclament 50 000 euros par personne, soit 12 millions d'euros au total. «Ça ferait de l'argent à investir dans un projet de reprise», veut croire une autre. Même si, reconnaît-elle, elle ne serait pas forcément prête à «mettre de l'argent dedans. Car après tout ce qu'on a vécu, faudrait vraiment être sûr que ça tienne la route». Mais l'Etat qui, coup sur coup, vient d'acter son impuissance à trouver une sortie de crise pour les sites menacés de Ford, à Blanquefort (Gironde), et d'Ascoval, à Saint-Saulve (Nord), est-il armé pour les aider ? Tous veulent y croire. «Ici, c'est différent. Les camarades produisent du papier pour l'Etat. On imagine le gouvernement faire fabriquer ses papiers officiels en Asie ?» pointe Patrick Bauret, le secrétaire national de la Fédération CGT des travailleurs du papier (Filpac). Pour lui, le scénario d'une nationalisation temporaire doit donc être étudié : «L'Etat l'a bien fait pour STX, les chantiers navals de Saint-Nazaire, il y a quelque temps, alors pourquoi pas pour Arjowiggins ?»