Porte-parole du Parti communiste (PCF) et tête de liste aux élections européennes, Ian Brossat s'est construit ces dernières années une solide réputation dans la lutte contre les géants du numérique. Adjoint au logement à la maire de Paris et auteur de Airbnb, la ville ubérisée (éditions La Ville brûle), il estime que la taxe Gafa voulue par le ministre de l'Economie et des Finances est «très insuffisante».
Pour quelles raisons critiquez-vous cette taxe Gafa ?
Le constat de départ réalisé par le gouvernement est juste : les géants du numérique sont les champions de l'optimisation fiscale et paient 14 points d'impôt de moins qu'une entreprise française traditionnelle. Mais Bruno Le Maire propose aujourd'hui de s'attaquer à ces mastodontes avec un pistolet à eau ! Son projet de loi marque un double recul de la part de l'exécutif. D'abord, on nous promettait un accord au niveau européen. Force est de constater que la France a lamentablement échoué à convaincre nos partenaires de la nécessité d'un impôt européen. Ensuite, la proposition de taxe franco-française, qui devait, à l'origine, taxer à 5 % le chiffre d'affaires des plus grands groupes et à 3 % celui des autres. Tout cela était censé rapporter 500 millions d'euros dès 2019 mais, désormais, Bruno Le Maire nous explique que, «peut-être», elle rapportera cette somme en 2020… On nous présente cela comme une «grande victoire» alors que cela rapportera sept fois moins que l'impôt de solidarité sur la fortune [ISF, ndlr] supprimé l'an dernier.
Vous parlez d’«échec» de la France sur la scène européenne mais, au moins, le gouvernement a mené cette bataille !
Certes, mais on ne peut pas gagner ce combat si on ne s’attaque pas au dumping fiscal au sein de l’UE. C’est ce dysfonctionnement qui permet aux géants du numérique d’optimiser leurs impôts. Or la France reste trop silencieuse sur le fait que des pays membres de l’UE sont de vrais paradis fiscaux ! La liste noire acceptée par la France est une vaste blague. Ni l’Irlande, ni le Luxembourg n’en font partie.
La France compte désormais sur un accord des pays de l’OCDE…
Mais sans attendre l’OCDE, le gouvernement français pourrait déjà aller plus loin ! Les députés communistes ont déposé en janvier une proposition de loi visant à mettre en place une taxation à la source sur les multinationales. Cela permettrait une relocalisation de l’imposition des Gafa. Il s’agirait d’identifier, d’une part, leurs profits au niveau mondial puis, en s’appuyant sur la TVA, on pourrait déterminer la part de ces profits réalisés en France, et donc taxer ces entreprises sur l’activité réellement réalisée dans notre pays. Ce mécanisme est pratiqué en Californie. Pourquoi cela serait-il impossible chez nous ? Ce serait bien plus efficace que la taxe confetti de Bruno Le Maire.
Vous ne pensez pas que c’est un vrai premier pas de la part du gouvernement ?
C’est une réponse très imparfaite et très insuffisante à un vrai problème. Le mouvement des gilets jaunes a fait ressortir ce sujet sur les ronds-points et dans les cafés. Le gouvernement a compris qu’il ne pouvait pas rester inactif sur la question de l’évasion fiscale.
Le Maire porte la question au plan européen depuis septembre 2017, bien avant les gilets jaunes…
Et les communistes en parlent, notamment avec les frères Bocquet [élus engagés contre la fraude fiscale], depuis bien plus longtemps, à une époque où on en parlait peu ! La taxe Le Maire est surtout révélatrice de la sensibilité de l'opinion sur le sujet.
Sujet que vous allez porter ?
Oui. Il faut discuter de l’harmonisation fiscale en Europe. Il est effarant de voir l’énergie folle déployée par la Commission européenne pour taper sur les doigts des pays qui ne respectent pas la règle d’un déficit public à 3 % de PIB alors qu’elle reste inactive face à des pays qui se comportent comme de véritables paradis fiscaux. Ce deux poids, deux mesures est inacceptable. L’Union européenne a été construite pour se serrer les coudes, pas pour se tirer dans les pattes.