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Libération
TRIBUNE

Le stade de la Beaujoire, un commun en transition

En raison des soupçons de fraude fiscale qui pèsent sur le propriétaire du FC Nantes, le projet de stade privé est abandonné. L’occasion de réinventer la structure actuelle, socialement et écologiquement.
Le stade de la Beaujoire a été inauguré en 1984. (PHOTO NICOLAS LUTTIAU. PRESSE SPORTS)
par François Bégaudeau, Frédéric BARBE, Géographe, auteur de la Beaujoire, enquête sur un coup d’Etat urbain, Hacène Belmessous, Chercheur en urbanisme, Patrick Bouchain, Architecte et scénographe, Mickaël Correia, Journaliste, auteur de Une histoire populaire du football et Chris Younès, Philosophe et urbaniste Association des riverains et amis de la Beaujoire, Brigade Loire 1999, Association à la Nantaise, Association syndicale autorisée (ASA) du Ranzay.
publié le 5 mars 2019 à 21h26

Tribune. Lundi 25 février, un communiqué de la présidente de Nantes-Métropole annonçait l'abandon du projet de nouveau stade privé en raison des soupçons de fraude et d'évasion fiscales pesant sur le propriétaire actuel du FC Nantes, Waldemar Kita (1), soupçons matérialisés par trois perquisitions menées la semaine précédente à l'initiative du Parquet national financier (PNF). Si l'ouverture de ces enquêtes était en réalité prévisible et ne surprend personne, elles amènent l'exécutif métropolitain à abandonner le projet actuel. Pour le reste, dit le communiqué, ce n'est que partie remise et la nécessité d'un stade privé «durablement à la hauteur de la sixième ville de France» est fortement réaffirmée.

Elaboré clandestinement dès 2016, annoncé tout ficelé en conférence de presse en septembre 2017, le projet de l’exécutif métropolitain de construire un stade privé aux caractéristiques équivalentes au stade public actuel inauguré en 1984, régulièrement entretenu et rénové, constitue une forme de l’absurde surmoderne. YelloPark, le premier projet, une destruction-privatisation du stade de la Beaujoire intégré dans un énorme projet urbain privé (1 500 logements, 50 000 m² de bureaux, une clinique privée, un nouveau stade privé et la destruction du stade actuel, 23 hectares stratégiques et un stade fonctionnel bradés pour 10 millions d’euros) est abandonné en novembre 2018 devant les oppositions massives. La seconde version du projet (deux stades aux fonctions identiques à 50 mètres l’un de l’autre, l’un privatisé, l’autre patrimonialisé à nos frais), illustrant par l’exemple l’utilité sociale de la croissance et les vertus écologiques du capitalisme urbain, est donc abandonnée la semaine dernière après le passage du Parquet national financier.

Au moment où la transition écologique est devenue une question de société majeure, un stade public jeune, réputé, aimé, modulable et durable, le stade de la Beaujoire, a failli être détruit pour permettre la construction d’une enceinte privée aux fonctions identiques à une cinquantaine de mètres de là. L’ensemble du projet constitue d’abord un abus de droit, au plus loin de l’esprit et des standards du droit de l’environnement et de la participation. Les élus exécutifs de la métropole nantaise ont ainsi tenté de s’affranchir par deux fois de la saisine de la Commission nationale du débat public et se sont montrés comme un maître d’ouvrage caché, refusant les échanges et retenant les données, tout en tirant les ficelles de la décision. Le projet venait aussi contredire le discours métropolitain sur la transition écologique présent dans tous ses documents réglementaires (Plum, plan climat, plan habitat, PDU, etc.) et toute sa communication. Dans un contexte marqué par la disparition de l’ex-attaquant du FC Nantes Emiliano Sala lors de son transfert à Cardiff, les manières fiscales d’un entrepreneur discrédité auront mis fin à cette aventure.

L'absence de contre-pouvoir au sein des métropoles, la verticalité de la décision, son opacité, le caractère de vote automatique des majorités métropolitaines inquiètent. Les habitants et les supporteurs ont mené un débat riche, long et épuisant, mais les élus, à l'exception des écologistes et de quelques individualités, ont été invisibles. Pourtant, avant même cet abandon, un autre projet a émergé de la concertation menée par les habitants et les supporteurs. Ces derniers résistent à ce que cachent les mirages d'un nouveau stade : la dégradation du spectacle vivant, le remplacement des ambiances populaires par les marques et les loges VIP, la publicité à 360 degrés et la vidéosurveillance massive, la perte d'un stade en plein air, l'absence de projet sportif durable, la vache à lait d'un entrepreneur discrédité.

Au lieu d’opposer stade public et stade privé, pourquoi ne pas expérimenter à Nantes la gouvernance partagée du stade et celle de futurs bâtiments annexes ? Si un tout petit peu de l’argent distribué directement et indirectement au club chaque année était mis de côté pour créer cette nouvelle gouvernance participative du stade et de ses espaces de vie, l’intérêt général n’aurait-il pas progressé ? Si le stade peu à peu devenait l’un des bâtiments les plus transitionnels de Nantes, l’écologie pour tous et toutes n’aurait-elle pas elle aussi progressé ? Si le FC Nantes, au lieu d’être embarqué dans un désastre programmé, était invité dans l’écosystème nantais et que le stade, l’équipe, les supporteurs et les habitants bénéficiaient d’une nouvelle alliance avec le territoire, la Beaujoire ne serait-elle pas tout simplement un «lieu à réinventer» par tous ses usagers ? Le stade du futur à Nantes, on l’a déjà. Il s’appelle «la Beaujoire». Il est à nous. C’est ce qu’on appelle «l’existant». C’est de cela dont nous pouvons nous occuper aujourd’hui comme dans bien d’autres lieux. A notre échelle nantaise, nous pouvons le réinventer et contribuer à la régulation du football, au développement de meilleures pratiques sociales et écologiques et concourir ainsi au meilleur FC Nantes possible en tant qu’il est un espace vivant de la communauté.

Et cette nécessité de rouvrir l’imaginaire et la gouvernance des stades n’a rien de spécifiquement nantais. L’actualité des stades construits ces dernières années, Grenoble (2008), Le Mans (2011), Lille (2012), Nice (2013), Bordeaux (2015), Lyon (2016) oscille entre scandales financiers (stade privé financé par le public, coûts extraordinaires sur la durée, captations de richesse publique et corruptions) et faiblesses de l’expérience vécue dans le nouveau stade (éloignement des stades, pertes d’ambiances, faibles croissances des publics). Le football est d’abord un jeu, un art, et le grand stade qui lui permet de se déployer comme spectacle doit être réinterrogé aujourd’hui, régulé, réinventé. Le devenir des stades ne peut se réduire à des gouvernances stéréotypées, à de l’enrichissement irrégulier et à des décisions politiques inconséquentes.

(1) Propriétaire et président du FC Nantes depuis 2007, cet homme d’affaires franco-polonais a par ailleurs été épinglé en 2016 dans l’affaire des «Panama Papers».

SIGNATAIRES : Frédéric BarbeFrançois Bégaudeau Hacène BelmessousPatrick BouchainMickaël Correia Chris Younès Association des riverains et amis de la Beaujoire, Brigade Loire 1999, Association À la Nantaise, Association Syndicale Autorisée (ASA) du Ranzay.