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Taxe Gafa : Bruno Le Maire réplique aux critiques

Le ministre de l'Economie a présenté mercredi son projet de taxe sur les grandes entreprises du numérique adopté en Conseil des ministres. Un impôt «simple juste et efficace» que le gouvernement prévoit de faire adopter avant l'été au Parlement.
Une petite centaine de militants d'Attac ont fait une action devant le siège de Google France, à Paris, le 31 janvier. (Photo Boby pour Libération)
publié le 7 mars 2019 à 6h22

Bruno Le Maire ou l'art de transformer une défaite en victoire. Présentant mercredi à Bercy son projet de loi relatif à la taxation des entreprises du numérique, le ministre de l'Economie s'est félicité «d'avoir fait bouger les lignes» sur un sujet à l'agenda des grandes puissances économiques depuis de nombreuses années déjà. «Sans la France, a déclaré celui qui a sillonné l'Europe ces derniers mois pour tenter de convaincre ses homologues de l'importance d'adopter cette taxe Gafa à l'échelle européenne, on en serait encore aujourd'hui au point mort. Je remarque que quand la France montre toute sa volonté, comme par hasard certains verrous sont levés. L'accélération des travaux de l'OCDE, on le doit à la taxe française».

23 pays convaincus sur 27

Détaillant son projet en conférence de presse, cet adversaire résolu d'un dumping fiscal qui a encore très largement cours en Europe, a rappelé que la France avait réussi à rallier en dix-huit mois 23 Etats sur 27 à sa position. «J'en tire la leçon qu'il est temps de passer à la majorité qualifiée en matière fiscale», a-t-il expliqué, ajoutant qu'il allait proposer lors de la prochaine réunion du Conseil des ministres européens de l'Economie et des Finances (Ecofin), mardi à Bruxelles, de définir une position européenne commune à défendre à l'OCDE. C'est là en effet que va se jouer dans les prochains mois l'avenir de ce chantier au long cours de la régulation fiscale des géants du numérique. Convaincu que «la solution à terme est internationale, c'est la seule échelle fiscale pertinente», le ministre a esquissé l'agenda qui pourrait permettre d'aboutir à l'horizon 2020 : accord lors du prochain G7 à l'été 2019 autour d'une taxe digitale et d'une taxation minimale – déjà adoptée par les Etats-Unis –, avant fin 2019 de se mettre d'accord entre l'ensemble des pays membres de l'OCDE plus les 127 Etats associés à ses travaux sur la refonte de la fiscalité.

«Pas d’impact fort»

Revenant sur le dispositif français de taxe à 3% sur le chiffre d'affaires mis en place dès l'exercice 2019, Bruno Le Maire a ensuite répondu aux différentes critiques économiques et juridiques à son projet largement alimentées par les différents lobbys et associations des entreprises du numérique. L'ineptie économique de prendre le chiffre d'affaires comme base taxable avec le risque de décourager l'investissement ? «C'est un prétexte pour ne rien faire. En l'absence d'une refonte globale qui reste notre objectif, c'est la seule possibilité aujourd'hui, précisant que cela faisait deux ans que Bercy et la Commission de Bruxelles planchaient sur cette question. Si vous avez une meilleure solution, je suis preneur.»

Le risque de répercussion de la taxe sur les clients ? Un épouvantail, là encore, dans la mesure où les services internet taxés sont gratuitement proposés aux clients et justement financés par la publicité qui leur est adressée. Quid du montant des commissions prélevées par les plateformes comme Amazon lorsqu'elles agissent comme intermédiaires mettant en relation acheteurs et vendeurs tiers de biens et services : ne risquent-elles pas d'augmenter et les prix finaux des biens avec, afin de répercuter la taxe de 3% sur les consommateurs ? «Ces commissions sont de 10% en moyenne et 3% de 10% cela fait 0,3 point, il n'y a pas d'impact fort», a balayé le ministre qui dit avoir entendu «avec pas mal de mauvaise foi, pas mal d'arguments qui ne tiennent tout simplement pas la route. Ne jouons pas avec les peurs des Français».

400 millions d’euros en 2019

Présentée comme «juste, simple et efficace», cette taxe Gafa semble d'ailleurs largement approuvée par ces derniers. Selon un sondage BVA pour la Tribune, 45% des personnes interrogées la jugent prioritaire et 39% importante. Seuls 9% affirment qu'elle est secondaire. Un jugement qui varie cependant en fonction des préférences politiques : si 63% des sympathisants La République en marche et 56% de ceux du Parti socialiste défendent le texte, les partisans de La France insoumise (44%), des Républicains (42%) et du Rassemblement national (38%) se montrent moins favorables en proportion.

Le gouvernement a enfin dévoilé les recettes attendues du nouvel impôt qui touchera une trentaine d’entreprises du numérique à partir de cette année. Soit 400 millions d’euros pour 2019 avant 450 millions en 2020, 550 millions en 2021 puis 650 millions en 2022. Une estimation qui reprend en la prolongeant la courbe très soutenue de croissance du chiffre d’affaires des géants du numérique ces dernières années.

Alors que la prochaine réunion Ecofin devrait acter l'échec du projet européen porté par la France en raison du refus de cette taxe manifesté par quatre pays (l'Irlande qui abrite le siège européen de plusieurs des Gafa, le Danemark, la Suède et la Finlande qui craignent des mesures de rétorsion américaines et préfèrent attendre une solution plus globale à l'échelle de l'OCDE), le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a rappelé que les propositions avancées par Bruxelles – et que reprend la taxe française – «étaient toujours sur la table. Paris doit aider à maintenir la pression politique pour une solution européenne rapide». Dans tous les cas de figure, ce ne sera plus avec cette Commission-là, qui sera renouvelée après les élections européennes au printemps.