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Libération
Éditorial

Avocat de lui-même

publié le 10 mars 2019 à 20h56

On a presque envie de le croire. Sous un casque de cheveux couleur neige, derrière les traits creusés par l'âge et, surtout, par le mal qui le ronge, le talent du bateleur est intact, avec son œil qui frise, son sourcil furibard ou implorant, son corps qui sursaute pour souligner ses saillies mi-gouailleuses mi-coupantes, sa voix tour à tour enjôleuse ou tonitruante. Il souffre, contraint de se lever soudain pour détendre un organisme martyrisé par des opérations cruelles et des chimios qui l'ont laissé sur le flanc. Il défend sa cause inlassablement, boule d'énergie intacte - il a arrêté ses traitements pour garder sa force le temps du procès - avocat fougueux de lui-même, «pour l'honneur», sans enjeu financier, puisqu'il doit rembourser selon un calendrier compliqué les sommes pharamineuses que l'arbitrage aujourd'hui jugé lui avait accordées. Sur la paille ? Pas vraiment. La scène se passe dans un décor de film, comme une annexe du château de Versailles, tout d'or, de velours et de taffetas, aux confins du VIe et du VIIe arrondissement. «Je vais vendre, dit-il. Je veux finir à Marseille.» Devant ce plaidoyer torrentiel, ponctué de remarques mordantes et de documents définitifs qu'il évoque et qui sont censés l'innocenter, on se raccroche à la vérité judiciaire. Bernard Tapie a été condamné plusieurs fois au pénal, pour un match truqué notamment. Il a perdu son interminable procédure au civil contre le Lyonnais, qui l'a payé selon le prix convenu, même si la banque a réalisé ensuite une grasse plus-value sans, dit-il, l'en avertir le moins du monde et en utilisant des structures offshore dignes des Panama Papers. L'arbitrage ? «Blanc-bleu», dit Tapie, qui met en avant l'honorabilité de principe des juges privés qui lui ont donné raison et désigne une sorte de coalition de l'establishment décidée à abattre le premier héraut de ce qu'on n'appelait pas encore le populisme. Pourtant, l'arrêt de renvoi accumule les indices d'une manœuvre et use d'un vocabulaire tranchant. La cour jugera… Le procès d'un homme ? Pas seulement. Celui, aussi, des années 80 et 90, les «années fric» dont «Nanard», la star des Guignols, fut le héros clinquant et supérieurement intelligent, et qu'il a chevauchées en mordant trop souvent la ligne. «C'était le bon temps», dit Tapie en voyant les deux journalistes de Libé qu'il connaît depuis des lustres. Pour lui, à coup sûr, qui occupait avec brio le devant de la scène. Pour la moralité publique et pour la gauche, dont il fut un des porte-parole, efficace contre Le Pen, adoubé par Mitterrand, c'est moins sûr.