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Libération
Billet

Rationalité

publié le 11 mars 2019 à 19h56

La rationalisation, aussi justifiée soit-elle, n'est pas toujours rationnelle. On entend bien qu'une maternité où les mères sont rares pose de multiples problèmes. L'accoucheur qui accouche peu perd en dextérité et l'équipe qui l'accompagne risque d'être moins vigilante. En cas de pépin, il est plus sûr d'avoir à portée de main un bloc opératoire qui assurera la sécurité de la mère et de l'enfant, et donc de regrouper maternité et hôpital. La rareté des actes, enfin, crée des temps morts pendant lesquels toute une équipe attend l'arme au pied l'arrivée d'une parturiente comme sœur Anne en haut de sa tour, qui ne voyait «que le soleil qui poudroie». Gaspillage de ressources, que les gestionnaires de la santé stigmatisent avec une certaine logique : les moyens dispensés en vain à un endroit manquent à un autre. Seulement voilà : ce discours de la rationalité et de l'économie heurte de plein fouet le souci des «territoires» qui a pris une acuité soudaine avec le mouvement des gilets jaunes. Pour une ville moyenne, la fermeture de la maternité, qui oblige les parturientes à se déplacer à trente ou quarante kilomètres, donne corps aux spectres du «désert médical» et de la disparition des services publics qui hantent la «France périphérique». Chaque agglomération, chaque communauté, se plaît à avoir chez elle l'ensemble des services qui garantissent le soin auquel chacun à droit tout au long de sa vie, notamment à la naissance. Vivre et travailler au pays… Et donc y naître. Ainsi l'inévitable réorganisation du système national de soin exige, pour le moins, doigté et finesse, pour bien distinguer les situations où le maintien de la maternité ne se justifie en rien, et celle où, moyennant un effort financier, une concession de l'Etat à la réalité d'un terrain divers et sensible, on peut transiger avec la logique cartésienne. C'est la vraie fonction de la politique.