Hassan Boukerrou était en répétition quand la nouvelle est tombée. «Quand je suis sorti, j'ai reçu un appel d'Algérie qui m'a annoncé la nouvelle et depuis, ça n'arrête pas de sonner !», s'enthousiasme ce percussionniste kabyle, installé à Marseille depuis vingt ans. Dimanche, il était dans la rue, comme quelques centaines de Marseillais, pour soutenir les manifestants de l'autre côté de la Méditerranée. Si la nouvelle du départ de Bouteflika et du report des élections lui «mettent le sourire», l'exilé algérien reste prudent. «Mes amis français me disent ça y est, vous avez gagné, mais je leur réponds pas encore, soutient-il. Maintenant, il faut préparer la suite, s'organiser. C'est une première victoire, mais il ne faut pas que le régime nous la fasse à l'envers…»
Comme beaucoup de Marseillais d'origine algérienne, Hassan en a déjà vécu d'autres. Même si cette victoire du peuple «est une première», reconnaît-il, il n'oublie pas les entourloupes du passé. Lui a vécu la répression du début des années 90, alors qu'il habitait toujours le pays. «J'ai manifesté à l'époque où ça tirait à balles réelles, raconte-t-il. J'étais à fond, jusqu'à ce qu'ils me mettent en prison et que je sois battu. C'est pour ça que je suis parti.» Aujourd'hui, malgré l'annonce du retrait de Bouteflika, il ne veut pas baisser la garde. «On a réussi à changer quelque chose, mais il faut s'organiser, savoir pour qui on peut voter, avance-t-il. Continuer à préparer la suite, pacifiquement. Tout se joue au jour le jour.»
Rester éveillé, c'est aussi le message qu'Hichem Doghmane, 39 ans, veut faire passer aux Marseillais mobilisés ces deux derniers dimanches. Ce gérant d'une pizzeria du quartier Saint-Just, qui tient la page Facebook Mon Algérie-Marseille, qui a participé activement à l'organisation des rassemblements locaux, pense déjà à la prochaine mobilisation, peut-être dimanche prochain. «Parce que c'est maintenant que le vrai travail va commencer, explique ce Franco-Algérien arrivé en France il y a vingt ans. On a lâché en 1962, on a lâché en 1992, il ne faut pas lâcher cette fois. Il ne faut surtout pas laisser le régime prendre le dessus.» Les Algériens de Marseille craignent que cette non-candidature fasse retomber la pression, et que finalement le retrait de Bouteflika ne s'accompagne pas d'un vrai changement de régime.
«Non-événement»
Fatima, une Oranaise croisée dans la manifestation marseillaise, ne veut même pas s'attarder sur l'annonce de lundi. «Bouteflika ne se représente pas ? Mais ce n'est pas lui qui l'a annoncé, moi je pense qu'il n'est même plus de ce monde ! s'énerve la sexagénaire. Le pouvoir se joue de nous. Le Président n'est pas le problème, c'est tout le système qui doit changer. Le peuple algérien ne va pas s'arrêter à ça.»
Maintenir la pression, c'est aussi les retours que Mehdi a eu de ses amis restés là-bas. Lundi soir, le Marseillais de 32 ans a fait chauffer le téléphone. La réaction du terrain est sans appel : «C'est un non-événement, résume-t-il. Ou plutôt un recul : «Avant, on avait au moins la perspective d'élections, un cadre constitutionnel. Là, on rallonge le quatrième mandat de Bouteflika pour une durée indéterminée ! En gros, on dit que tout change pour que rien ne change.» Pas de quoi apaiser le peuple : «D'ailleurs, vous avez vu ? Personne n'est sorti en Algérie pour fêter ça, souligne-t-il. Personne n'est dupe. La partie de poker entre le peuple et le pouvoir continue.»