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Libération
À la barre

Procès Tapie : «Les services du ministère des Finances devraient être un peu moins cons»

Au deuxième jour d’audience devant le tribunal correctionnel, l’ancien patron d’Adidas a été invité à raconter la genèse du litige autour de la revente de l’équipementier par le Crédit lyonnais.
Bernard Tapie à son arrivée au palais de justice de Paris, lundi. (Photo Marc Chaumeil)
publié le 12 mars 2019 à 21h06

Premier tour de chauffe, mardi devant le tribunal correctionnel de Paris, lequel aura évacué la veille les divers vices de forme en ouverture du procès Tapie. La problématique est à la fois très simple et très compliquée : le comportement du Crédit lyonnais, lors de l’achat puis la revente d’Adidas par l’homme d’affaires entre 1990 et 1993, méritait-il réparation ? Cent fois oui, aura répondu en 2008 un tribunal arbitral constitué aux petits oignons, chargeant un peu la mule, via des dommages et intérêts fixés à 404 millions d’euros - à la charge du contribuable, le Lyonnais ayant entre-temps été privatisé. Un simple euro symbolique, rétorquera fin 2015 la cour d’appel de Paris, la justice ordinaire reprenant alors la main.

Pompes

La vérité se situe peut-être entre les deux. Mardi, à la barre, après un long rappel par la présidente du tribunal des tribulations qui empoisonnent la justice française depuis un quart de siècle à propos d'Adidas, Bernard Tapie a été invité à raconter sa genèse de l'embrouille. «Ma modestie va en souffrir, mais ce fut l'affaire la plus facile à redresser.» Il suffisait alors de délocaliser les usines européennes en Asie, comme l'avaient déjà fait ses concurrents Nike ou Reebok, de mettre un coup d'accélérateur sur le marketing en chaussant Madonna ou les joueurs du Real Madrid en pompes Adidas. N'était-il pas contraint de revendre au plus vite la marque aux trois bandes pour l'avoir achetée 100 % à crédit avec un remboursement sur deux ans ? «Nous n'étions pas du tout à l'agonie financière», balaie-t-il sans plus de précision.

A l'entendre, la revente rapide d'Adidas, avant même que son redressement n'ait porté ses fruits, serait uniquement liée à des considérations politiques, avec sa nomination en 1992 au ministère de la Ville du gouvernement Bérégovoy : «On ne peut pas être ministre de gauche et en même temps fermer des usines en Europe. Entre être un riche industriel et un moyen ministre, je n'ai pas hésité.» Un tel désintéressement proclamé force l'admiration, sauf que Tapie n'a jamais accepté la revente au double d'Adidas (dans un premier temps, en 1994), puis au quintuple (dans un second temps, en 1995), pour le plus grand bénéfice du repreneur Robert Louis-Dreyfus, mais aussi du Crédit lyonnais, doublant sa casquette de banque-conseil avec celle de corepreneur via des sociétés offshore.

Et Tapie de s'indigner derechef, tout à son souci de sans cesse refaire le match : «J'ai récupéré 10 % de ce que la banque a encaissé, via des paradis fiscaux. Qui est voyou, escroc ?» La cour d'appel de Paris, en fixant finalement le curseur à l'euro symbolique, avait estimé que l'homme d'affaires était non seulement acculé à revendre mais également au courant de tous les dessous des cartes. L'occasion pour Tapie de s'emporter de surcroît, promettant de faire défiler cette fois-ci à la barre toute une série de témoins - mais l'accusation en a tout autant en réserve, happening garanti durant les quatre semaines du procès.

Créance

Le Consortium de réalisation (CDR), l'entité chargée de gérer le passif du Crédit lyonnais et l'Etat français, désormais en droit de réclamer le remboursement des 404 millions d'euros octroyés en 2008 par le tribunal arbitral (Tapie n'ayant encaissé que 240 millions après déduction de créances bancaires ou fiscales), entendent désormais faire courir des intérêts de retard, exigeant pas moins de 523 millions. Lors d'une interruption d'audience, Tapie a pesté lundi. Etant placé en procédure de sauvegarde, puis en redressement judiciaire, sous l'égide du tribunal de commerce, la créance des pouvoirs publics ne saurait à ses yeux produire des intérêts : «Les services du ministère des Finances devraient être un peu moins cons.»

Le président du CDR, François Lemasson, n'entend pas intervenir à la barre, mais comme il était notre voisin dans la salle, on lui a demandé son point de vue sur la question : «Tout le monde a raison», a-t-il rétorqué. Il est aussi question de l'assignation du CDR, réclamant devant le tribunal correctionnel le règlement de sa créance, déjà déclarée devant le tribunal de commerce, pourtant compétant en la matière. «Il n'est pas question de réclamer deux fois la même somme, proteste-t-il. Mais de partager éventuellement son paiement aux autres prévenus.»

Bref, de répartir l'ardoise entre les différents protagonistes de l'arbitrage, exonérant ainsi partiellement Bernard Tapie. Un rare beau geste du CDR. Même si Christophe Bigot, avocat de Bernard Scemama, poursuivi en tant qu'ancien président d'une tutelle du CDR, ironise sur le fait que son client n'est «pas le plus solvable d'entre eux», s'agissant de centaines de millions. Fin de la première passe d'armes.