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Islamophobie

Etam, Béziers, Decathlon... les femmes voilées toujours ciblées par des discriminations et des polémiques

Une femme accuse une responsable de boutique Etam d'avoir refusé sa candidature au seul motif qu'elle était voilée. Un cas de discrimination sur lequel l'enseigne de prêt-à-porter a ouvert une enquête.
Au Bourget, le 5 avril 2015, au rassemblement organisé par l'Union des organisations islamiques (UOIF). (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 14 mars 2019 à 12h07
(mis à jour le 14 mars 2019 à 17h35)

La chaîne de vêtements Etam a annoncé mercredi soir avoir mis à pied à titre conservatoire la responsable d'un de ses magasins de prêt-à-porter, accusée d'avoir discriminé une femme voilée venue déposer son CV le 8 mars. La gérante «me regarde et me dit "non mais c'est une blague, j'espère que vous n'êtes pas sérieuse. Vous êtes voilée et vous me demandez un travail"», explique cette femme dans une vidéo postée sur Twitter mardi. «Vous devez enlever votre voile avant d'entrer, je suis désolée mais je n'accepte pas les voilées», lui aurait aussi dit cette responsable. Une enquête interne a été ouverte.

«La manière dont [cette femme] a été reçue par la responsable du magasin, et dont nous avons été informés, ne reflète pas nos valeurs», écrit Etam dans son communiqué. «La politique de recrutement du groupe […] s'effectue sur la seule base des compétences et non de l'appartenance religieuse ou politique», complète la chaîne, tout en expliquant demander à ses employés en contact avec la clientèle «de respecter dans le cadre de leurs fonctions une totale neutralité dans leur expression comme dans leur apparence». Une exigence qui ne permet pas pour autant de refuser une candidature au motif de l'appartenance religieuse, réelle ou supposée, d'une personne – ce qui relève de la discrimination.

Etam a adopté dans son règlement intérieur «un principe de totale neutralité, philosophique et religieuse», précise la marque à Libération. Depuis 2016, la loi le lui permet : le code du travail dispose que «le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché».

Cet article avait été introduit dans le projet de loi porté par la ministre du Travail de l'époque, Myriam El Khomri, par un amendement de la sénatrice PRG Françoise Laborde. Il avait été retenu par le gouvernement dans la version finale du texte, soumise au 49.3, suscitant les contestations de l'Observatoire de la laïcité et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH). Ces deux instances publiques craignaient que cet article «comporte le risque d'interdits absolus et sans justification objective à l'encontre des salariés». Une avocate en droit du travail relevait aussi, auprès de Libé, que l'introduction du principe de «neutralité» dans le droit du travail risquait «de créer du contentieux». (1) Dans un arrêt rendu en novembre 2017, la Cour de cassation, s'appuyant sur des décisions de justice européennes, a admis le droit pour une entreprise d'interdire le port de signes religieux ou politiques, «dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients». Et, pour le cas de salariés refusant de s'y conformer, l'employeur doit, si possible, lui proposer un autre poste «n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients», plutôt que de le licencier.

«L’empathie, la solidarité cessent dès qu’il s’agit des musulmanes en hijab»

Le cas d'Etam vient s'ajouter à plusieurs affaires récentes de discriminations envers des femmes portant le voile. Voyant son personnel menacé physiquement, Decathlon a renoncé fin février à vendre un «hijab de running» qu'il avait pourtant le droit de commercialiser. Le 8 mars, à Béziers, la mairie d'extrême droite dirigée par Robert Ménard a banni du «Salon de la femme et du bien-être» une exposante, gérante d'un magasin de vêtements de Narbonne, parce qu'elle portait le voile. Elle a affirmé qu'elle porterait plainte. Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et la Licra lui ont apporté leur soutien. Et on apprend dans l'Express cette semaine qu'une députée LREM de Paris, Anne-Christine Lang, peut affirmer en toute tranquillité qu'elle «ne mettra jamais un pied dans l'Hémicycle s'il y a une femme voilée». A l'occasion d'un débat organisé sur la laïcité par son parti, où se côtoient des conceptions très différentes du sujet, elle veut proposer de ne pas investir des candidates voilées aux élections municipales.

«Tout se passe comme s'il n'y avait personne sous le "voile", pas d'être humain capable de réfléchir, de sentir, et de s'exprimer. La femme comme individu disparaît. On la réduit purement et simplement à un objet chargé, outre de sa signification musulmane – mais n'en doutons pas, à cause d'elle – d'un tombereau de symboles, soumission, archaïsme, étendard politique de l'islamisme, voire du jihad. En se référant à Simone de Beauvoir, on peut dire que sous le voile la femme n'est plus son corps, qu'il a disparu entièrement sous autre chose qu'elle», écrit Annie Ernaux ce jeudi dans le Libé des écrivains. Elle ajoute : «L'empathie, la solidarité cessent dès qu'il s'agit des musulmanes en hijab : elles sont le continent noir du féminisme.»

(1) Mise à jour du 14 mars à 16h55 : dans une première version de l'article, il était écrit que le Conseil constitutionnel n'a pas censuré cet article. Et pour cause : il n'en a pas été saisi. Cette nouvelle version précise par ailleurs les conditions restrictives imposées par la Cour de cassation.